samedi, septembre 09, 2006

Notes de lecture (III): mi-septembre 2006


La Marie en plastique #1 de Prudhomme & Rabaté, Futuropolis (sur Bulle d'Air)
Rabaté aura marqué la rentrée 2006 avec son excellent Les Petits Ruisseaux chez Futuropolis. Pour cette rentrée scolaire, il nous revient au scénario de La Marie en plastique #1 avec David Prudhomme au dessin. Je n'avais pas été emballé par le style de ce dernier dans le collectif Japon paru chez Casterman/Ecritures mais je dois avouer qu'il s'en sort plutôt bien sur ce nouveau titre. Il rend avec justesse le caractère de chacun des membres d'une famille dont trois générations cohabitent sous le même toit. Ce rapport de proximité n'est pas toujours évident à gérer surtout quand les grands-parents ont des comportements encore plus puérils que leurs petits enfants. Les disputes au sein de ce couple âgé sont fréquentes et leur discorde porte principalement sur leurs convictions politiques et religieuses: lui fait partie d'une cellule communiste, elle est "grenouille de bénitier". Le reste de la famille semble s'être accommodé de leurs scènes de ménage jusqu'au jour où une goutte d'eau (bénite) fait déborder le vase. La grand-mère place une Vierge en plastique sur la télévision familiale. Son mari se doit donc de répliquer avec autant de force. La guerre (froide) est ouverte.
Au-delà de cet élément anecdotique, Rabaté nous fait profiter de son sens aigu de l'observation. Son récit et ses personnages sonnent juste et ma mère m'en apportera la confirmation en s'exclamant toutes les deux pages : "Ca, c'est bien vrai! Je me souviens d'une amie qui...". Un très agréable moment.

La Volupté de Blutch, Futuropolis (sur Bulle d'Air)
La Volupté, c'est une pièce de théâtre aux accents surréalistes. Blutch, au travers de son coup de crayon magistral, met en scène divers personnages dont la vie sera affectée par la traque d'une bête "dangereuse" qui parcourt la région. Mais cette créature mystérieuse les poussera à s'enfoncer dans le bois pour se retrouver "en proie" à leurs désirs, leurs pulsions primales, leur mal-être. Blutch confirme au travers de cet album son statut d'auteur majeur de la bande dessinée contemporaine. Sa recherche de nouvelles formes de narration est en adéquation parfaite avec son trait à la fois libre et entièrement maîtrisé.

Le Jardin Armé et autres histoires de David B., Futuropolis (sur Bulle d'Air)
Ce recueil est composé de trois histoires: Le Prophète Voilé, Le Jardin Armé et Le Tambour Amoureux. Les deux premières ont été publiées dans la revue Lapin, la troisième est inédite et dans la lignée graphique des précédentes. On connaissait l'auteur pour son impressionnant travail sur le noir & blanc, il faudra désormais l'apprécier aussi pour ses couleurs. Ses somptueux lavis aux teintes brunes nous plongent au temps des guerres de religion et des hérésies, sur les terres chrétiennes et musulmanes.
Le tout est très bien écrit et ravira ceux qui comme moi ont aimé Les Incidents de la Nuit et Léonora (avec Pauline Martin).


Guilty de Karl Stevens, Ego Comme X (sur Bulle d'Air)
Ego comme X est allé chercher Karl Stevens loin des sentiers battus de la Bande Dessinée américaine. Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur avant l'annonce du programme de l'éditeur alternatif français. En fouinant sur la toile, j'ai pu découvrir quelques très belles planches au style graphique surprenant. De nombreux auteurs américains se plongent dans l'épuration et le minimalisme alors que Karl Stevens joue avec un dessin réaliste aux hachures fouillées.
Mark et Ingrid se croisent dans la rue, un an après leur séparation. L'auteur nous fait partager toutes les pensées qui traversent l'esprit des deux personnages alors qu'ils échangent des banalités d'usage. L'hypocrisie et les faux-semblants sont bien sûr au rendez-vous. Mais ce que Karl Stevens fait ressortir lors de cette scène et des suivantes c'est avant tout la difficulté de gérer ses sentiments face à une personne avec qui on a partagé son intimité. Lui doit-on encore quelque chose au nom de cette relation passée? A quel moment peut-on se sentir quitte de son ancien partenaire quand on est rongé par le sentiment de culpabilité de l'avoir trompé ?
Guilty est donc un album au sujet intéressant mais qui aurait gagné à être un peu moins chargé. Il manque quelques souffles qui permettraient au lecteur de trouver sa place dans le récit. Mis à part cette remarque, l'univers personnel de Karl Stevens s'annonce très prometteur. J'attends avec impatience son nouvel opus.

Sorcières #1 de Daisuké Igarashi, Casterman/Sakka (pas encore sur Bulle d'Air)
Après une période un peu creuse, la collection Sakka revient avec quelques titres très intéressants (comme All my Darling Daughters dont je parlerai bientôt et Voyage à Uroshima). Sorcières n'est pas une compilation des meilleurs gags de Mélusine. Daisuké Igarashi nous emmène découvrir les arcanes les plus sombres de la sorcellerie à travers le monde. Ce premier album de la série est composé de trois histoires complètes; une longue, deux plus courtes. La première se déroule à Istanbul et évoque l'ascension d'une sorcière puissante et néfaste décidée à détruire ceux qui se sont un jour opposés à elle. Le dessin de l'auteur rend parfaitement la noirceur qui se dégage de cet être assoiffé de pouvoir et de vengeance. L'horreur est au rendez-vous. Le second récit se passe en Amazonie où la sorcière d'une tribu tente de protéger leur terre d'entrepreneurs sans scrupules. Là aussi, l'auteur parvient à créer une ambiance chargée de douleur. Le dernier récit est dans une tonalité plus légère.
J'ai beaucoup aimé cet ouvrage qui aborde la fantastique de manière très profonde en se tenant loin des clichés du genre (comme les Swamp Thing ou les Promethea d'Alan Moore).

Wizz et Buzz #1 de Winshluss & Cizo, Delcourt/Shampooing (sur Bulle d'Air)
Un album "sympathique" par les auteurs de Monsieur Ferraille (aux Requins Marteaux). Au vu de la couverture et des deux noms qui y apparaissaient, je m'attendais à de l'acide chlorhydrique à l'état pur. Finalement, les gags de cet album restent assez gentils. Il est vrai que la collection Shampooing se présente comme suit : "Ca lave la tête et ça fait des bulles. Shampooing, c'est pour les grands qui savent rester petits et les petits qui veulent devenir grands". Si l'on tient compte de cet aspect "tout public alternatif", l'album atteint parfaitement sa cible. Le duo de Wizz et Buzz fonctionne un peu comme celui d'Itchy & Scratchy (cf. Les Simpsons) sauf qu'ici, les personnages sont censés être amis...

Un Ciel Radieux de Jirô Taniguchi, Casterman/Ecritures (sur Bulle d'Air)
On nous annonçait un Taniguchi dans la lignée de ses oeuvres les plus importantes. Un Ciel Radieux se place en effet dans cette continuité avec un récit de l'intime aux accents fantastiques proches de Quartier Lointain. Un jeune motard du nom de Takuya Onodéra est fauché par un camionnette. Il survit mais est plongé dans un profond coma. Kazuhiro Kubota, le chauffeur de la camionnette, est mort sur le coup... ou presque. Son esprit est resté sur terre, emprisonné dans le corps du jeune motard. Lorsque ce dernier sort de son état d'inconscience, il est animé par l'esprit du défunt. Kazuhiro Kubota va donc intégrer bien malgré lui la cellule familiale du jeune homme et faire semblant d'être amnésique. Il reste cependant décidé à retrouver la femme et la fille qu'il a laissé derrière lui. Mais le reconnaîtront-ils sous cette nouvelle apparence?
L'histoire est intéressante et pourrait être très émouvante. Seulement le récit est trop long, trop appuyé tant au niveau de la morale que du mélodrame. En 200 pages au lieu de 300, Taniguchi serait parvenu à plus d'efficacité. Dans la lignée de Quartier Lointain mais d'un niveau légèrement inférieur.

Excursion Coréenne de Nicoby, Six Pieds sous Terre/Lépidoptère (sur Bulle d'Air)
Un récit de voyage en Asie après les excellents Shenzhen et PyongYang de Guy Delisle peut sembler être un exercice difficile. Nicoby s'en sort très bien avec son Excursion Coréenne qui relate un voyage en Corée du Sud en 2001. Le ton est plaisant. Souvenirs et anecdotes s'enchaînent sur un bon rythme. On peut regretter que l'album ne fasse que 30 pages; j'aurais voulu être dépaysé un peu plus longtemps...

A+

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