jeudi, novembre 30, 2006

Notes de lecture (V): fin novembre 2006

Voici trois chroniques que j'ai écrites pour la newsletter de la Bulle d'Or. Ce n'est pas ma meilleure prose mais j'espère néanmoins qu'elles vous donneront envie de découvrir certains de ces albums.

Voyages dans le Temps

Après avoir choisi trois albums qui m'avaient particulièrement plu dernièrement, je me suis aperçu qu'ils partageaient tous un thème commun; celui du retour dans le passé. Mais ce n'est pas le seul lien qui unit ces ouvrages aux esthétiques fort différentes. Ils sont tous trois emprunts d'une sensibilité rare. Julien Neel, Jason et Gipi possèdent cette qualité qui fait la marque des grands auteurs: ils ne racontent pas des histoires mais des personnages. Ils nous donnent à voir la route qu'ils ont parcourue et qui les a menés au bout de leurs crayons.

© 2006 Gallimard Jeunesse/Carabas/Vertige Graphic & auteurs respectifs

"Chaque Chose" de Julien Neel chez Gallimard Jeunesse (Bayou)

Julien Neel n'est pas un inconnu pour tous ceux qui ont été séduits par "Lou",
la série qu'il dessine chez Glénat. Pour ce nouvel album, l'auteur nous offre un récit dans une tonalité toute différente. Il l'évoque avec justesse dans ces quelques lignes de présentation: « Un petit garçon a une mamie qui crie tout le temps et qui habite une maison en crépit noir. Et puis il part en vacances avec son papa, qui est magicien. Des années plus tard, la mamie est morte, le papa magicien est extrêmement malade et le petit garçon n’en est plus un. Une nuit, il part part à vélo et retrouve la maison, maintenant peinte en blanc, de la mamie. Ensuite, il va voir le papa à l’hôpital, parle au médecin, rentre chez lui, parle à sa femme et regarde sa petite fille dormir. C’est un livre puzzle. Avec des pièces manquantes. C’est la vie. Ce sont des saynètes. Des petites histoires cruelles, qui souvent font rire ». Dans "Chaque Chose", l'auteur parvient à faire coexister la sensibilité de l'enfant qu'il a été et celle de l'homme qu'il est devenu. Avec une simplicité qui rend ce récit d'autant plus fort.

"J'ai tué Adolf Hitler" de Jason chez Carabas

Pour les habitués de la Bulle d'Or, Jason est un nom désormais familier. L'auteur norvégien nous a rendu plusieurs fois visites à l'occasion de la sortie de ses albums "Attends", "Chhht!" (Atrabile) et "Je vais te montrer quelque chose" (Carabas). Avec "J'ai tué Adolf Hitler", il nous offre à nouveau un récit des plus surprenants. Il nous emmène sur les traces d'un tueur à gages à qui l'on propose un contrat inattendu: celui de remonter dans le temps et d'abattre Adolf Hitler. Le professionnel accepte mais divers imprévus rendront sa tâche particulièrement ardue. Cette chasse à l'homme bouleversera sa vie et celle de l'être cher qu'il a dû impliquer avec lui dans cette aventure. Jason maîtrise à la perfection l'enchaînement des rebondissements qui rythme son nouvel album. Il nous fait passer de surprise en surprise pour conclure par un final aussi génial qu'émouvant. Et c'est ce dernier aspect qui me touche le plus dans son travail: il parvient à me faire vivre des aventures incroyables dans lesquelles chaque émotion, chaque sentiment est à la fois complexe, juste et vrai.

"S." de Gipi chez Vertige/Coconino (Moby Duck)

Gipi est un auteur dont je vous ai souvent fait l'éloge. La chronique que j'ai écrite sur son album "Notes pour une histoire de Guerre" (qui a remporté le prix du meilleur album à Angoulême) est toujours disponible dans notre section alternative (ICI). La lecture de "S." m'a confirmé que cet auteur italien fait partie des maîtres de la Bande Dessinée européenne. Comme pour "Chaque Chose", Gipi nous propose de voyager dans les souvenirs, de sauter d'avant en arrière dans le temps. Il parvient ainsi à rendre toute la complexité d'une mémoire (qui n'est jamais linéaire). Cette mémoire, c'est celle d'un fils
qui raconte son père. Ce dernier a vécu l'occupation allemande. Il s'est caché et a caché des déserteurs. Il a vu l'horreur mais il a survécu. Son fils nous livre les souvenirs difficiles et touchants que son père conservait de cette période sombre. Mais il partage aussi avec nous le regard qu'il portait enfant sur cet homme simple et attachant. Gipi nous offre donc un album d'une grande profondeur que la luminosité de ses aquarelles contraste à la perfection. Je conseille vivement cet album à tous ceux qui ont été touchés comme moi par le "Journal de mon Père" de Jirô Taniguchi (Casterman).

A+

dimanche, novembre 05, 2006

Paroles de libraire (I)

Il y a quelques années, Eric Corbeyran lançait les collectifs Paroles de Taulards chez Delcourt (3 tomes) puis l'album Paroles de Sourds en 2005. Je tente donc mes Paroles de Libraire. J'y aborderai des sujets nettement plus légers. Pour preuve, voici le titre de ce premier chapitre:

"J'adore passer pour un con devant Lewis Trondheim"

Ma première rencontre avec Trondheim eut lieu il y a 5 ans, au Festival d'Angoulême.
J'étais tout fou. Cela faisait deux ans que je travaillais à la Bulle d'Or, c'était mon premier pèlerinage à la "Mecque de la BD" et j'allais y rencontrer tous les auteurs que j'admirais. C'est Bernard, mon boss, qui m'y emmena en voiture.
Sur place, nous logions dans un superbe manoir à quelques kilomètres d'Angoulême. Le cadre était splendide, les hôtes chaleureux. Le seul problème fut de découvrir les chambres et surtout les lits... Bernard et moi partagions le même lit double qui semblait avoir été conçu pour accueillir deux enfants. Nos pieds dépassaient du cadre et nous devions rester allongés sur le côté pour ne pas nous toucher. Autant dire que dans cette situation des plus inconfortables, je ne parvins à fermer l'oeil de la nuit.



Psychanalyse - © Lewis Trondheim

Au petit matin, j'étais tout simplement laminé. Le trajet de la veille, la nuit blanche et l'excitation de ce premier festival avait eu raison de ma frêle endurance.
Lewis Trondheim était assis au stand Dargaud (si ma mémoire est bonne). Il devait y dédicacer un Lapinot. Lorsque vint mon tour, je sortis mon album de Psychanalyse que j'avais emporté sur place.
Trondheim: Pourquoi vous avez été ressortir une telle vieillerie. Mes nouveaux albums ne vous plaisent pas?
Une réponse! Vite, une réponse!
Moi: Si. Si. Mais c'est grâce à cet album que j'ai découvert votre travail.
J'ignore pourquoi j'ai répondu ça. Ce n'était même pas vrai. Soit.
Trondheim m'adressa alors une phrase que je ne compris pas. Je n'entendais que le bruit des armatures de la tente qui grinçaient sous le vent. Ce fond sonore ne devait pas être vraiment bruyant mais, dans mon état de fatigue avancé, j'avais le sentiment qu'il était décuplé.
Trondheim répéta la phrase et je ne parvenais toujours pas à comprendre. Je me sentais vraiment con. Il devait se demander s'il s'adressait à un débile profond. Il répéta à nouveau.
Trondheim: Une tache ou un dessin?
Une tache, quoi une tache?
Moi: Une tache.
Trondheim plia la couverture de mon Psychanalyse en deux et sortit la cartouche d'encre de son stylo. Il appliqua de l'encre à même la couverture pliée et fit un test de Rorschach.
Et là, je ne sais pas ce qui me prit. J'allais poser la question la plus conne de toute mon existence.
Moi: Vous utilisez une trame pour faire les petits points dans chacune des cases de Psychanalyse?
Je savais pertinemment que l'album reprenait une case unique dupliquée à la photocopieuse et qu'il n'avait dû dessiner qu'une seule fois les points de cette case. Mais voilà, c'est LA question qui sortit de ma bouche à cet instant. L'extrême fatigue? L'angoisse provoquée par cette rencontre? Je n'en sais toujours rien.
Lewis Trondheim leva les yeux vers moi. Ce coup-là, j'étais certain qu'il me prenait pour un débile profond.
Il m'expliqua donc ce que je savais déjà et après avoir improvisé une légende au test, il me rendit mon Psychanalyse. Je quittai le stand Dargaud dépité avec une seule pensée en tête: "Et dire que demain, je serai dans un état encore plus lamentable!"


Dédicace dans Psychanalyse - © Lewis Trondheim

Ma seconde rencontre avec Lewis Trondheim eut lieu au Festival d'Haarlem (Pays-Bas) , deux ans plus tard. Je m'y étais rendu avec mon ami Redwane pour apporter à Trondheim et JC Denis quelques exemplaires du livret Totem que je venais d'imprimer. Trondheim avait réalisé la couverture de l'ouvrage avec Jason et JC Denis était l'auteur d'une des illustrations.
Trondheim venait de gagner le Grand Prix du Festival et certaines personnes nous avaient signalés que l'auteur était dans un mauvais jour et sous la surveillance d'un garde du corps. Lorsque nous sommes arrivés au stand où il dédicaçait, un garde du corps veillait effectivement à sa sécurité. Par contre, il était de très bonne humeur. Redwane et moi n'avions pas de tickets pour la séance de dédicaces et le garde du corps nous empêcha de l'approcher. Mais Lewis Trondheim prit notre défense en voyant que Redwane avait son Comix 2000 sous le bras.
Trondheim (au garde et en anglais): Le Comix 2000 est un livre très spécial. Il a le droit de passer.




Couverture du Totem - © Nicolas Verstappen

Redwane fit donc dédicacer son album et je tendis trois exemplaires du Totem à Trondheim. Ce dernier fixa longuement la couverture puis nous salua.
Quelques jours plus tard, j'écrivis un mail à Trondheim où je lui demandais s'il aimait la couverture car il ne m'avait pas semblé convaincu.
Il me répondit: Les couleurs auraient pu faire un peu moins L'Oréal.
C'est vrai que les couleurs étaient loin de ressembler à celles des Mondrian dont je m'étais inspirés. J'étais embarrassé et je ne savais trop comment répondre.
Je lui répondis finalement avec deux ou trois excuses bancales et terminai ma lettre par cette phrase : Les couleurs L'Oréal, c'est parce que vous la valez bien...

dimanche, octobre 15, 2006

PREMIER ANNIVERSAIRE !


© 2006 Debbie Drechsler/Xeroxed

Un an s'est écoulé depuis le premier message de ce blog!
Merci à tous les auteurs pour la confiance qu'ils m'ont accordée et le temps qu'ils m'ont consacré.
(Debbie & Kevin: thank you for the two marvelous drawings you've sent me!)
Merci à vous, chères lectrices et chers lecteurs, pour votre présence sur ces modestes pages. Je sais que vos visites sont plus régulières que la fréquence de mes posts mais j'espère néanmoins que vous profitez de ce voyage un peu chaotique.

© 2006 Kevin Huizenga/Xeroxed

mercredi, septembre 27, 2006

Notes de lecture (IV): fin septembre 2006


© 2006 auteurs & éditeurs respectifs

Voici trois de mes coups de coeur pour la fin septembre (désolé du retard). Trois ouvrages sensibles, trois récits de l'intime mais trois approches différentes. Que demander de plus? Ah oui... des chroniques...


All My Darling Daughters de Fumi Yoshinaga, Casterman/Sakka (sur Bulle d'Air)

Comme ça avait la couverture d'un shôjo ("manga pour jeune fille") et que ça avait l'odeur d'un shôjo, j'ai fait l'impasse. J'ai beau apprécier de nombreux comics (et comix) américains, des mangas, des manhwas et des ouvrages "grand public" ou "alternatifs" européens, parfois j'ai quand même quelques a priori (en fait, j'en ai souvent)... Il aura fallu que j'observe Sandra en train de lire All My Darling Daughters à côté de moi pour être tenté par l'ouvrage. Il fallait la voir passer alternativement du rire à l'émotion. Elle était entièrement absorbée par ce récit. Il fallait surtout l'entendre me dire: "Quoi?! Tu lis plein d'albums écrits par des gens qui croient leur quotidien intéressant et tu ne comptes pas lire All My Darling Daughters qui sonne plus juste que beaucoup d'autobiographies dessinées?!" Bon. Ok. Let's go! Après lecture, je ne pouvais faire qu'une chose: lui donner raison. Je me suis retrouvé plongé dans le même état qu'elle. C'est drôle, c'est touchant et ça sonne juste. Ca sonne juste parce qu'il y a une parfaite maîtrise du ton et du rythme tout au long de ces 200 pages. Je ne suis pas un grand fan des albums qui ont pour thème la remise en questions des trentenaires et All My Darling Daughters parvient à ne pas tomber dans l'apitoiement facile. Chez Fumi Yoshinaga, la situation de constat n'est qu'un prétexte. L'auteur préfère nous dévoiler tout le parcours, complexe et difficile, qui mène à la prise de conscience. Mais avec tendresse et beaucoup de dérision car si l'on ressent bien une chose dans cet ouvrage, c'est l'amour profond qu'éprouve Fumi Yoshinaga envers ses personnages. Et elle nous donne envie de les aimer aussi. Alors oui, ça a le goût du shôjo. Oui, certains parlerons de "sensiblerie". Mais au diable mes a priori d'intello snobinard! Cet album m'a touché et c'est bien l'important!

Histoire Couleur Terre #1 (sur 3) de Kim Dong-Hwa, Casterman/Ecritures (sur Bulle d'Air)

Ca avait la couverture d'un shôjo (cfr. plus haut) et ça avait l'odeur d'un shôjo, mais je n'ai pas fait l'impasse. Pourquoi? Parce que c'était dans la collection Ecritures. Ca aussi c'est lié à un priori... Kim Dong-Hwa m'avait déjà séduit au travers des trois albums de La Bicyclette Rouge (parus chez Paquet) où l'auteur nous dépeint une superbe galerie de portraits de villageois. Dans Histoire Couleur Terre, l'auteur s'attache à deux personnages: une jeune veuve et sa fille. Cette dernière se nomme Ihwa et elle n'est encore qu'une enfant lorsque débute le récit. Mais plus pour longtemps. Car la puberté approche et elle sent poindre en elle de nombreuses émotions jusque-là inconnues. Sa mère est attendrie par ses questions parfois embarrassantes. Mais la veuve Namwon va bientôt se poser autant de questions que son enfant à l'arrivée d'un écrivain public. Elle va redécouvrir le sentiment amoureux auprès de cet homme qui ne passe par leur village que très rarement. Au fil des saisons, la jeune Ihwa va ainsi observer les comportements mystérieux de sa mère et apprendre les rituels, les gestes et les regards qui naissent entre un homme et une femme. Une complicité, superbement dépeinte par l'auteur, se noue entre la mère qui oublie son veuvage et l'enfant qui s'éprend d'un jeune moine bouddhiste de son âge.
Kim Dong-Hwa nous convie, au travers du premier tome de cette trilogie, à un magnifique voyage au coeur de la Corée rurale où chaque plante, chaque fleur, compose une nature riche et complexe; celle de la féminité.

World Trade Angels de Fabrice Colin & Laurent Cilluffo, Denoël Graphic (sur Bulle d'Air)

Merci Denoël Graphic pour ce superbe livre-objet! Sous la magnifique maquette de cet album se cache un récit tout aussi intéressant. Depuis A l'Ombre des Tours Mortes, j'avais un peu peur des sujets sur le 11 septembre. Mais World Trade Angels nous offre tout autre chose. Stanley, un jeune cadre new-yorkais, a été témoin de l'attentat. Depuis, comme de nombreux habitants de cette ville plongée dans un état post-traumatique, il semble perdre pied. Tout lui échappe et il ne lutte pas. Il fait le choix de ne pas faire de choix. Sa compagne le quitte, il ne travaille plus et son père, imposante figure, l'écrase de son poids plutôt que de le relever. Il perd le fil jusqu'à perdre celui de la narration. Car quelque chose cloche dans le récit de Stanley. Le lecteur, intrigué, poursuivra sa lecture jusqu'à comprendre enfin ce qui a poussé cet homme à lentement sortir du monde. World Trade Angels est une oeuvre forte et intelligente autant dans sa forme que dans son propos. C'est aussi une oeuvre atypique dont la tonalité s'accorde parfaitement au caractère unique de l'événement historique.

samedi, septembre 09, 2006

Notes de lecture (III): mi-septembre 2006


La Marie en plastique #1 de Prudhomme & Rabaté, Futuropolis (sur Bulle d'Air)
Rabaté aura marqué la rentrée 2006 avec son excellent Les Petits Ruisseaux chez Futuropolis. Pour cette rentrée scolaire, il nous revient au scénario de La Marie en plastique #1 avec David Prudhomme au dessin. Je n'avais pas été emballé par le style de ce dernier dans le collectif Japon paru chez Casterman/Ecritures mais je dois avouer qu'il s'en sort plutôt bien sur ce nouveau titre. Il rend avec justesse le caractère de chacun des membres d'une famille dont trois générations cohabitent sous le même toit. Ce rapport de proximité n'est pas toujours évident à gérer surtout quand les grands-parents ont des comportements encore plus puérils que leurs petits enfants. Les disputes au sein de ce couple âgé sont fréquentes et leur discorde porte principalement sur leurs convictions politiques et religieuses: lui fait partie d'une cellule communiste, elle est "grenouille de bénitier". Le reste de la famille semble s'être accommodé de leurs scènes de ménage jusqu'au jour où une goutte d'eau (bénite) fait déborder le vase. La grand-mère place une Vierge en plastique sur la télévision familiale. Son mari se doit donc de répliquer avec autant de force. La guerre (froide) est ouverte.
Au-delà de cet élément anecdotique, Rabaté nous fait profiter de son sens aigu de l'observation. Son récit et ses personnages sonnent juste et ma mère m'en apportera la confirmation en s'exclamant toutes les deux pages : "Ca, c'est bien vrai! Je me souviens d'une amie qui...". Un très agréable moment.

La Volupté de Blutch, Futuropolis (sur Bulle d'Air)
La Volupté, c'est une pièce de théâtre aux accents surréalistes. Blutch, au travers de son coup de crayon magistral, met en scène divers personnages dont la vie sera affectée par la traque d'une bête "dangereuse" qui parcourt la région. Mais cette créature mystérieuse les poussera à s'enfoncer dans le bois pour se retrouver "en proie" à leurs désirs, leurs pulsions primales, leur mal-être. Blutch confirme au travers de cet album son statut d'auteur majeur de la bande dessinée contemporaine. Sa recherche de nouvelles formes de narration est en adéquation parfaite avec son trait à la fois libre et entièrement maîtrisé.

Le Jardin Armé et autres histoires de David B., Futuropolis (sur Bulle d'Air)
Ce recueil est composé de trois histoires: Le Prophète Voilé, Le Jardin Armé et Le Tambour Amoureux. Les deux premières ont été publiées dans la revue Lapin, la troisième est inédite et dans la lignée graphique des précédentes. On connaissait l'auteur pour son impressionnant travail sur le noir & blanc, il faudra désormais l'apprécier aussi pour ses couleurs. Ses somptueux lavis aux teintes brunes nous plongent au temps des guerres de religion et des hérésies, sur les terres chrétiennes et musulmanes.
Le tout est très bien écrit et ravira ceux qui comme moi ont aimé Les Incidents de la Nuit et Léonora (avec Pauline Martin).


Guilty de Karl Stevens, Ego Comme X (sur Bulle d'Air)
Ego comme X est allé chercher Karl Stevens loin des sentiers battus de la Bande Dessinée américaine. Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur avant l'annonce du programme de l'éditeur alternatif français. En fouinant sur la toile, j'ai pu découvrir quelques très belles planches au style graphique surprenant. De nombreux auteurs américains se plongent dans l'épuration et le minimalisme alors que Karl Stevens joue avec un dessin réaliste aux hachures fouillées.
Mark et Ingrid se croisent dans la rue, un an après leur séparation. L'auteur nous fait partager toutes les pensées qui traversent l'esprit des deux personnages alors qu'ils échangent des banalités d'usage. L'hypocrisie et les faux-semblants sont bien sûr au rendez-vous. Mais ce que Karl Stevens fait ressortir lors de cette scène et des suivantes c'est avant tout la difficulté de gérer ses sentiments face à une personne avec qui on a partagé son intimité. Lui doit-on encore quelque chose au nom de cette relation passée? A quel moment peut-on se sentir quitte de son ancien partenaire quand on est rongé par le sentiment de culpabilité de l'avoir trompé ?
Guilty est donc un album au sujet intéressant mais qui aurait gagné à être un peu moins chargé. Il manque quelques souffles qui permettraient au lecteur de trouver sa place dans le récit. Mis à part cette remarque, l'univers personnel de Karl Stevens s'annonce très prometteur. J'attends avec impatience son nouvel opus.

Sorcières #1 de Daisuké Igarashi, Casterman/Sakka (pas encore sur Bulle d'Air)
Après une période un peu creuse, la collection Sakka revient avec quelques titres très intéressants (comme All my Darling Daughters dont je parlerai bientôt et Voyage à Uroshima). Sorcières n'est pas une compilation des meilleurs gags de Mélusine. Daisuké Igarashi nous emmène découvrir les arcanes les plus sombres de la sorcellerie à travers le monde. Ce premier album de la série est composé de trois histoires complètes; une longue, deux plus courtes. La première se déroule à Istanbul et évoque l'ascension d'une sorcière puissante et néfaste décidée à détruire ceux qui se sont un jour opposés à elle. Le dessin de l'auteur rend parfaitement la noirceur qui se dégage de cet être assoiffé de pouvoir et de vengeance. L'horreur est au rendez-vous. Le second récit se passe en Amazonie où la sorcière d'une tribu tente de protéger leur terre d'entrepreneurs sans scrupules. Là aussi, l'auteur parvient à créer une ambiance chargée de douleur. Le dernier récit est dans une tonalité plus légère.
J'ai beaucoup aimé cet ouvrage qui aborde la fantastique de manière très profonde en se tenant loin des clichés du genre (comme les Swamp Thing ou les Promethea d'Alan Moore).

Wizz et Buzz #1 de Winshluss & Cizo, Delcourt/Shampooing (sur Bulle d'Air)
Un album "sympathique" par les auteurs de Monsieur Ferraille (aux Requins Marteaux). Au vu de la couverture et des deux noms qui y apparaissaient, je m'attendais à de l'acide chlorhydrique à l'état pur. Finalement, les gags de cet album restent assez gentils. Il est vrai que la collection Shampooing se présente comme suit : "Ca lave la tête et ça fait des bulles. Shampooing, c'est pour les grands qui savent rester petits et les petits qui veulent devenir grands". Si l'on tient compte de cet aspect "tout public alternatif", l'album atteint parfaitement sa cible. Le duo de Wizz et Buzz fonctionne un peu comme celui d'Itchy & Scratchy (cf. Les Simpsons) sauf qu'ici, les personnages sont censés être amis...

Un Ciel Radieux de Jirô Taniguchi, Casterman/Ecritures (sur Bulle d'Air)
On nous annonçait un Taniguchi dans la lignée de ses oeuvres les plus importantes. Un Ciel Radieux se place en effet dans cette continuité avec un récit de l'intime aux accents fantastiques proches de Quartier Lointain. Un jeune motard du nom de Takuya Onodéra est fauché par un camionnette. Il survit mais est plongé dans un profond coma. Kazuhiro Kubota, le chauffeur de la camionnette, est mort sur le coup... ou presque. Son esprit est resté sur terre, emprisonné dans le corps du jeune motard. Lorsque ce dernier sort de son état d'inconscience, il est animé par l'esprit du défunt. Kazuhiro Kubota va donc intégrer bien malgré lui la cellule familiale du jeune homme et faire semblant d'être amnésique. Il reste cependant décidé à retrouver la femme et la fille qu'il a laissé derrière lui. Mais le reconnaîtront-ils sous cette nouvelle apparence?
L'histoire est intéressante et pourrait être très émouvante. Seulement le récit est trop long, trop appuyé tant au niveau de la morale que du mélodrame. En 200 pages au lieu de 300, Taniguchi serait parvenu à plus d'efficacité. Dans la lignée de Quartier Lointain mais d'un niveau légèrement inférieur.

Excursion Coréenne de Nicoby, Six Pieds sous Terre/Lépidoptère (sur Bulle d'Air)
Un récit de voyage en Asie après les excellents Shenzhen et PyongYang de Guy Delisle peut sembler être un exercice difficile. Nicoby s'en sort très bien avec son Excursion Coréenne qui relate un voyage en Corée du Sud en 2001. Le ton est plaisant. Souvenirs et anecdotes s'enchaînent sur un bon rythme. On peut regretter que l'album ne fasse que 30 pages; j'aurais voulu être dépaysé un peu plus longtemps...

A+

mardi, septembre 05, 2006

Notes de lectures (II): début septembre 2006

Ce n'est pas encore l'automne et pourtant les feuilles tombent par reliures entières. A peine le temps de préparer cette deuxième série qu'arrivent déjà les nouveautés Futuropolis: La Marie en plastique #1 de Prudhommme & Rabaté (très bon), La Volupté de Blutch (superbe) et Le Jardin Armé et autres histoires de David B.. Sans compter Un Ciel Radieux de Taniguchi (Casterman/Ecritures), Wizz et Buzz #1 de Winshluss et Cizo (Delcourt/Shampooing) et Guilty de Karl Stevens chez Ego comme X. Je vous en parle dans le prochain post. Voici déjà les huit nouvelles notes. J'ai été à l'essentiel. Comme vous l'aurez constaté, j'ai mis un lien vers le site Bulle d'Air pour chaque titre, histoire d'avoir quelques avis supplémentaires...

© 2006 - auteurs et éditeurs respectifs


Malédictions de Kevin Huizenga (Vertige Graphic - Coconino Press) (sur Bulle d'air)
J'ai déjà évoqué cet album lors d'une présentation de Kevin Huizenga sur ce site (cf. entretien Xeroxed). Il s'agit d'une compilation de cinq histoires courtes parues précédement dans diverses anthologies américaines (Kramers Ergot, Drawn & Quarterly Showcase...). Si chacun de ces récits peut être classé dans un genre bien particulier (récit d'horreur victorien, conte fantastique, débat théologique ou récit du quotidien), tous partagent le même personnage central. Glenn Ganges vit en effet d'étranges aventures. Confronté à l'apparition fantomatique d'un chien tenant une main dans sa gueule ou lancé à la poursuite d'un ogre qui pourrait mettre fin à la stérilité de son couple, il fait pourtant preuve d'un grand pragmatisme. Car toutes les théories, cartésiennes ou non, semblent coéxister dans son univers. Ce dernier, ouvert à tous les possibles, est rendu dans un style graphique qui lui correspond à merveille; celui de la ligne claire. Kevin Huizenga me donne envie de croire à l'incroyable. Un vrai coup de maître et un vrai coup de coeur.
P.S.: cet album est plus convaincant à mes yeux que le Ganges #1 paru chez Vertige Graphic/Coconino Press (même si ce dernier avait déjà de nombreuses qualités).
P.P.S.: Le carnet d'entretien Xeroxed consacré à Kevin Huizenga est offert à l'achat d'un des albums de ce dernier à la Bulle d'Or (Bruxelles).

Leçon de Choses de Grégory Mardon (Dupuis/Double Expresso) (sur Bulle d'air)
A l'annonce de chaque nouveau Mardon, je trépigne d'impatience. J'avais été séduit par son Cycloman (chez Cornélius avec Charles Berberian) et son Vagues à l'âme (Humanoïdes Associées/Tohu-Bohu) . J'avais été ravi par Ingognito #1 et Corps à Corps chez Dupuis. Je me jette donc sur la Leçon de Choses. Mardon me surprend par une mise-en-page plus aérée qui correspond bien au regard que porte Jean-Pierre, un préadolescent attachant, sur le monde rural dans lequel il vit. Le jeune garçon nous livre son quotidien sur un ton enfantin qui m'a d'abord dérangé mais auquel on se fait rapidement. Sa naïveté va progressivement se heurter à la réalité des choses. Au travers d'une série d'expériences anecdotiques et de rencontres déterminantes, Jean-Pierre va découvrir la complexité des rapports humains. La relation difficile qu'entretiennent ses parents le poussera à chercher refuge, un temps, dans la nature qui l'entoure et l'imagination qui l'habite. Mais on ne peut fuir bien longtemps et la vie lui donnera une leçon à laquelle il ne pourra échapper. Cette impossibililté pour Jean-Pierre d'être un "acteur" du drame m'a dérangé dans la seconde partie de l'album. J'expérimentais une frustration de voir ce récit échapper à son narrateur. J'ai d'abord eu le sentiment que c'était Grégory Mardon qui perdait le fil de son histoire alors qu'il rendait en réalité, et avec beaucoup de justesse, le sentiment d'impuissance de son personnage. Un album très réussi si on est prêt à perdre pied.

Little Star d'Andi Watson (Cà et Là) (sur Bulle d'air)
Je me souviens encore du jour où j'ai acheté le premier fascicule de Geisha, une série dessinée par un auteur dont je n'avais jamais entendu parler. J'avais été attiré par le style graphique épuré d'Andi Watson. J'achetai les numéros suivants pour finir par me procurer toute sa production. Mais au fil des années, je me suis de moins en moins retrouvé dans ses récits. Slow News Day, Ruptures et Breakfast Afternoon ne sont pas lectures désagréables mais elles ne m'auront pas laissé de souvenirs impérissables. C'est donc avec un peu d'appréhension que je me plongeai dans Little Star. Je trouvai l'installation du récit particulièrement lente. Je ne parvenais pas à entrer en empathie avec Simon Adams, le personnage principal de l'album. Père d'une petite fille capricieuse et assez insupportable, ce dernier semble accepter l'existence morne dans laquelle il est figé. Il subit sans broncher. Ses états d'âme m'agacent vite. J'allais abandonner la lecture de l'album en cours de route mais le récit prit peu à peu une nouvelle tournure. Simon Adams dévoile progressivement des instants marquants de sa vie de père. Enfin on découvre, par touches subtiles, les décisions qu'il a prises, les actes qu'il a posés. Il se dégage une forme d'évidence dans la seconde moitié de l'album. On expérimente une émotion intime et profonde pour un personnage qui semblait jusque-là si fade. Une fois l'ouvrage refermé, on ne peut que féliciter l'artiste. Un de ses meilleurs albums.

Joseph de Nicolas Robel (La Pastèque) (sur Bulle d'air)
Les mots "magique" et "tragique" s'accordent bien lorsqu'on parle de Joseph. Joseph, c'est un petit garçon aux mains immenses. Des mains qui le privent de l'affection de ses parents. Des mains qui provoquent le rire de ses camarades. Seuls ses jouets ne se moquent pas de lui. Seuls ses jouets sont doués d'humanité. Mais ils ne pourront rien face au drame qui s'abattra sur l'enfant... et sur moi. Car Nicolas Robel, au moyen d'une parfaite maîtrise du cadrage, a réussi à me placer au coeur même de la tragédie. Un geste bien cruel envers ses lecteurs qui ne lui en voudront pas longtemps.

Sclérose en Plaques de Mattt Konture (L'Association/Mimolette) (sur Bulle d'air)
Autant le dire tout de suite, je n'ai jamais été un grand fan de Mattt Konture. Sans raison particulière. Ca ne prenait pas, c'est tout. Mais avec Sclérose en Plaques, je dois bien avouer que j'ai revu ma position. Mattt Konture y dévoile la maladie qui le ronge avec une émotion juste. Il ne s'apitoie pas sur son sort, au contraire. Il se livre avec une simplicité et une rigueur qui lui font honneur. L'auteur tente de découvrir depuis combien de temps il est habité par ce mal en revenant sur les douleurs physiques inexpliquées qui l'accompagnent depuis de nombreuses et qui pourraient être autant de symptômes de la maladie. Il assemble des cases reprises de ses albums précédents pour illustrer son propos et nous découvrons ainsi l'évolution de sa maladie en même temps que celle de son oeuvre. Un des meilleurs albums de la collection Mimolette.

Prelude to a Kiss d'El Don Guillermo (L'Association/Mimolette) (sur Bulle d'air)
El Don Guillermo nous propose un ensemble d'histoires courtes à l'Association après une série d'albums autoédités chez Misma. L'ouvrage est difficile à classer tant les récits sont décalés. J'ai été décontenancé par le côté parfois un peu "survolté" (ou confus) de la narration. J'attends de voir les prochains travaux de ce jeune dessinateur dont le ton pourrait s'avérer intéressant.

Panier de Singe de Florent Ruppert & Jerome Mulot (L'Association/Ciboulette) (sur Bulle d'air)
Voilà un album que j'attendais avec une folle impatience. Je m'étais mangé une bonne grosse claque en découvrant les quelques histoires courtes de Ruppert et Mulot publiées dans la revue Ferraille. Le ton était aussi corrosif que novateur; il était tout simplement unique. Ces deux auteurs semblent ne pas avoir de limites. Ils osent tout, tant dans l'approche de la mise-en-page que celle des dialogues. Ils sont passés maître dans l'art d'enchaîner à un rythme effréné de courtes répliques au contenu totalement amoral (et je dis bien "amoral" tant les personnages de Ruppert et Mulot semblent en dehors de tout rapport à la notion de moralité). Brian Michael Bendis, si tu me lis, je suis désolé mais j'ai trouvé plus fort que toi... Soit. Panier de Singe reprend les histoires courtes parues dans Ferraille et de nombreux inédits (et de très chouettes jeux visuels à bricoler chez soi). Un album à découvrir absolument (tout comme leur Safari Monseigneur lui aussi paru à L'Association).
P.S.: "on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui" alors si tu es "n'importe qui", ne lis pas cet album.

Ivoire d'Emile Bravo & Jean Regnaud (La Pastèque) (sur Bulle d'air)
Les éditions de la Pastèque ont eu une excellente idée en rééditant le premier album d'Emile Bravo, l'auteur des géniales aventures de Jules. On y retrouve tout le mordant d'un Yann des débuts. En effet, si les personnages de Ruppert et Mulot sont amoraux, ceux de Regnaud et Bravo sont immoraux. Joost Vanlabecke, dont nous suivons les "tribulations" durant l'époque coloniale, a tout d'une vraie crapule. Sa méchanceté, ou plutôt sa cruauté, n'a d'égal que sa cupidité. Il est prêt à tout pour s'enrichir, même à massacrer tous les éléphants d'une de ses connaissances (et ses propres "boys" par la même occasion) afin de récupérer leurs défenses. En une petite trentaine de planches, nous découvrons donc un recensement des pires penchants de la nature humaine, le tout servi sur un ton et un rythme implacables. Une fort agréable lecture.
A+

vendredi, septembre 01, 2006

Notes de lectures (I): fin août 2006

Au vu de l'incroyable quantité de nouveautés annoncées pour cette rentrée de septembre, j'ai eu envie de publier quelques notes de lecture pour ceux qui aimeraient avoir un avis sur certains titres. Mon avis n'est bien entendu qu'indicatif et personnel. Vos réactions (coups de coeur et coups de gueule) sont les bienvenues dans l'espace "commentaires".

© 2006 auteurs et éditeurs respectifs

Libre comme un Poney Sauvage de Lisa Mandel (Delcourt/Shampooing) (sur Bulle d'air)
Ok, j'ai honte. Je n'avais jamais lu le blog de Lisa Mandel avant de découvrir cet album qui compile ses posts d'août 2005 à mars 2006. Et alors? Ca arrive même aux meilleurs... Et puis je tiens à dire que j'avais quand même lu Nini Patalo et Eddy Milveux (qui sont très chouettes). Merci donc à Lewis Trondheim d'avoir publié ce blog en album dans sa collection Shampooing (et d'apporter de nouveaux formats chez Delcourt) pour les retardataires dans mon genre. Lisa Mandel évoque son voyage en Argentine avec humour, autodérision et surtout un langage des plus fleuris. Je n'ai pas le sentiment que j'ai vraiment découvert l'Argentine mais au moins je me suis bien amusé. C'est dans le ton du moment (cf. Frantico et Boulet) mais avec une femme derrière le crayon. Comme le signale Lisa Mandel, c'est donc truffé "de sensibilité, de finesse, de poésie, de spiritualité, de nobles intentions, d'une certaine grâce fragile, de problématiques différentes et magnifiquement complexes". Haha. Surtout la finesse!

La Sirène des Pompiers d'Hubert & Zanzim (Dargaud/Poisson-Pilote) (sur Bulle d'air)

Un one-shot dans la collection Poisson-Pilote, c'est une bonne nouvelle en soi. Une nouvelle qui s'annonce d'autant plus agréable si l'on sait que cet album est scénarisé par Hubert (dont j'avais bien aimé le Miss Pas Touche #1). L'installation de l'album est assez accrocheuse, l'univers bien installé. Paris, fin XIXième. Gustave Gélinet, un jeune peintre dont les débuts ont été fort critiqués, connaît soudain un succès foudroyant grâce à un tableau représentant une sirène. Cette toile surprend tous les critiques par la qualité de son rendu réaliste. Fulmel, le détracteur le plus féroce de Gélinet, est persuadé que le peintre est dénué de toute imagination artistique et qu'il ne peut donc avoir réalisé cette oeuvre au thème mythologique. Fulmel a à la fois tort et raison. Si Gélinet est bien l'auteur de la toile, il n'a pas imaginé la créature. La sirène existe bel et bien, cachée à l'abri des regards indiscrets dans l'atelier de l'artiste. Mais la curiosité du critique d'art, les ambitions du peintre et les désirs de la sirène vont mettre la pérénnité de ce fragile secret en péril. Le récit s'annonce donc prometteur mais il souffre hélas d'un problème de rythme. Ou plutôt de "souffle". J'ai le sentiment qu'il y a certaines longueurs et quelques rebondissements mal gérés. La lecture reste agréable dans l'ensemble et le trait de Zanzim s'accorde bien au ton mais l'album ne m'aura pas séduit comme le premier Miss Pas Touche.


Le Sang des Voyous de Loustal & Paringaux (Casterman) (sur Bulle d'air)

Loustal nous revient avec de grandes images. Des images qui marquent par la justesse des plans choisis. Toujours le plan de Loustal complète le texte de Paringaux, le souligne par un rappel ou le sublime. C’est une nouvelle leçon d’«écriture bande dessinée » que nous offre ce duo à qui l’on doit déjà Kid Congo et La Nuit de l’Alligator. La forme est donc parfaitement maîtrisée et fait honneur au « Neuvième Art ». Mais l’esthétique n’est pas tout et le récit doit encore convaincre. Il nous fait emprunter les pas de Louis, un tueur à gages dont la route s’achèvera bientôt. Louis est malade. Ses jours sont comptés. Il trouvera cependant la force de quitter le mouroir où il gît pour tenter d’accomplir un dernier contrat, un contrat qu’il a passé avec lui-même. Si Moebius signalait qu’on pouvait imaginer « une histoire en forme d’éléphant, de champ de blé, ou de flamme d’allumette soufrée », Paringaux a conçu la sienne en forme de rose. Des épines de cuivre et des pétales de sang jailliront inexorablement tout au long de la traque menée par Louis. Bon, je vais arrêter mes métaphores à deux francs cinquante et vous dire que j’ai beaucoup aimé. Je pourrais aussi dire que j'ai trouvé un petit côté Dark Knight Returns à cet anti-héros vieillissant dont le corps en ruine est animé par une détermination aveugle. Mais là aussi je ne vais pas me perdre dans une comparaison du même tonneau que mes métaphores. Bref, du grand Art. Seul bémol: j'ai eu un sentiment de "déjà vu" pour certaines séquences de l'album. J'ai dû trop souvent regarder les films de Kitano...


Monologues for the Coming Plague d'Anders Nilsen (Fantagraphics).

Avec cet album (uniquement en v.o. anglaise), Anders Nilsen nous emmène bien loin de son superbe Des Chiens, de l’Eau (Actes Sud). L’album volumineux compile deux carnets de croquis où se succèdent plusieurs séries de dialogues improbables. On y retrouve des oiseaux à la répartie surprenante (comme dans ses Big Questions), un débat délirant sur la sémiotique et des mini-récits totalement décalés. Quelques séries de dessins fonctionnent sur un système de running-gag assez réussi, d’autres pas du tout. L’ensemble est dessiné de manière très naïve et minimaliste (un dessin par page). C’est donc vite lu (mais ce n'est pas un reproche) et assez peu convaincant au final (surtout pour 18.95 $). Cette déconstruction est sans doute liée à la période de troubles qu’a vécu l’auteur suite au décès de sa compagne. L’album autobiographique qu’Anders Nilsen a écrit suite à ce drame devrait bientôt être disponible (Don’t Go Where I Can’t Follow chez Drawn & Quarterly) et s’annonce plus intéressant.


Cosmos de Kim Sung Yun (Dargaud/Made In) (sur Bulle d'air)

J'ai été assez séduit par la couverture et les quelques planches rapidement feuilletées de cet album coréen. Les couleurs directes posées avec beaucoup de talent avaient tout pour séduire. Hélas, ce recueil d’histoires courtes ne m’a finalement pas convaincu outre mesure. J’ai décroché un peu plus à chaque histoire, sans doute à cause du côté un peu « fouillis » de cette compilation. Notons cependant que l’utilisation de la couleur est assez remarquable tout comme le rendu de quelques scènes érotiques. L’auteur s’amuse aussi avec quelques expériences narratives intéressantes. J’espère que toutes ces qualités pourront s’exprimer de manière plus aboutie dans un prochain album.


Le Retour à la Terre #4 de Jean-Yves Ferri & Manu Larcenet (Dargaud/Poisson-Pilote) (sur Bulle d'air)

A la sortie d’un nouveau Retour à la Terre, je me retrouve dans une situation terrible. Pareil pour Sandra. Qui de nous aura le privilège de le lire en premier en rentrant à la maison ? Je suis parvenu à mettre le grappin dessus, Sandra préférant se le réserver pour clore notre soirée-lecture. J’ai bien aimé même si j’ai un peu moins ri que pour les précédents. Mais j’imputerai cela à la fatigue car l’alchimie continue à opérer entre Ferri et Larcenet. Je me suis quand même bien amusé avec Sandra lorsque nous avons passé en revue nos gags préférés. La série garde donc un bon niveau et reste l’une de mes favorites tant ces tranches de vie de couple me semble bien observées. Et je ne crois pas que je dois m’éterniser sur ce titre qui a déjà très bien été défendu et mis-en-avant.


Lucha Libre #1 de Bill & Jerry Frissen avec Tanquerelle, Fabien M., Ines Vargas, Gobi & Witko (Humanoïdes Associés) (sur Bulle d'air)

Ce petit fascicule au format "américain" m'aura fait passer un très agréable moment. Et mon problème pour cette chronique, c'est que Lucha Libre, ça ne se résume pas; ça se lit! Mais bon, je vais faire un effort pour les plus sceptiques. Disons que cet univers déjanté où une bande de cinq copains aux masques de catcheurs mexicains affrontent des loups-garous en plein quartier résidentiel paumé de Los Angeles tandis que deux martiens s'exclament, l'air grave, devant un dinosaure errant dans la ville: "Le grand Ballet cosmique se met en place...". Il y a un côté Bill Plympthon qui... Non. J'ai dis que j'arrêtais les comparaisons... C'est tout simplement un bon gros délire qui tient la route (eh oui). Car cet univers a sa propre cohérence (si si) et surtout un ton qui permet de s'y plonger et ne plus vouloir en sortir. Le tout est servi par une "dream team" composée de Jerry Frissen, le scénariste des Zombies qui ont mangé le Monde (un Belge qui sait rire de sa belgitude, ça fait du bien à l'heure où Delcourt sort ses "blagues belges"), Bill & Gobi (au dessin bien pêchu), Tanquerelle (dit "le Talentueux" qui signe des gags en une planche), Witko (l'auteur de Muerto Kid aux Requins Marteaux qui signe lui aussi des histoires courtes) ainsi que Fabien M. et Ines Vargas. J'attends la suite avec impatience. GOJIRA!


London Calling #1 de Sylvain Runberg & Phicil (Futuropolis/"32") (sur Bulle d'air)

Là aussi, ce fut un petit rayon de soleil. Trop bref hélas! Il y a une vraie frustration quand on referme la dernière page de ce premier chapitre (sur neuf prévus). Le découpage de Phicil, l'auteur de Georges Frog #1, est d'une grande fluidité. Son dessin rajoute au plaisir des yeux. Tout comme les très belles couleurs de Drac. Le scénario de Sylvain Runberg nous plonge dans le Londres du début des années '90. Nous découvrons la capitale au travers des yeux de Thibault, un jeune Français de 20 ans qui a décidé de s'y installer avec un ami. Il garde en mémoire l'excellent souvenir d'un voyage qu'il y a fait précédement. Mais la situation a bien changé depuis son permier séjour et le Londres qu'il va retrouver est moins accueillant que prévu. Les complications s'enchaînent durant le voyage mais ne semblent pas émousser la volonté de Thibault qui est animé par l'effervescence propre à la scène musicale de l'époque. Un vrai plongeon dans la nostalgie. Et puis c'est pas cher (4.90€) !

A+

lundi, août 14, 2006

Correspondances (IV): FRANCOIS SCHUITEN

L'Actor's Boat - © Schuiten/Actor's Studio

François Schuiten aime les villes. Il l’a prouvé avec talent au travers du cycle des Cités Obscures qu’il dessine depuis de nombreuses années avec la complicité de son ami Benoît Peeters. Mais François Schuiten aime aussi sa ville. Il a mis Bruxelles à l’honneur dans son album Brüsel mais aussi dans un travail de scénographe sur de nombreux sites de la capitale (station Porte de Hal, restauration de la Maison Autrique). Claude Diouri, le gestionnaire des cinémas du Styx et de l’Actor’s Studio, s’est donc naturellement tourné vers cet artiste pour accompagner durant plus de dix mois un projet des plus ambitieux : réhabiliter une ancienne péniche en salles de cinéma à deux pas de la place Sainctelette. François Schuiten nous dévoile quelques aspects de sa collaboration avec Claude Diouri et l’architecte de l’Actor’s Boat. Ce nouveau complexe cinématographique devrait ouvrir ses portes en septembre. Plusieurs acteurs de ce projet sont interviewés dans le dossier Actor's Boat du WhiteNight Magazine.



1. Rencontre avec François SCHUITEN: "Des quais et dérives"

Nicolas – Quelle est la nature de votre travail sur l’Actor’s Boat ? Tient-il de l’ordre de la décoration, de la scénographie ?

François Schuiten - Ce n’est pas vraiment de la décoration. L’idée était plutôt d’accompagner le projet depuis le moment où Claude Diouri a pris la décision d’acheter un bateau et de le transformer en salle de cinéma. C’est donc autant une réflexion sur l’architecture que sur la mise en scène et la décoration. On ne peut pas isoler ces trois éléments car ils sont intimement liés.

N. – Quel était l’état du bateau au début de votre travail ?

François Schuiten – J’ai été voir le bateau au moment où ils l’ont sorti de l’eau. C’est toujours un moment assez émouvant. C’est un bateau qui a déjà un certain âge mais il était en très bon état. C’était intéressant de le voir avant une quelconque intervention pour bien situer son origine, son parcours. Il était aussi important de le voir dans les canaux, sur un site assez impressionnant où l’on restaure et transforme ces péniches. L’ambiance était d’ailleurs assez proche des Cargos du Crépuscule (ndlr : une enquête de Gil Jourdan par Tillieux). Tous ces éléments sont très importants pour quelqu’un qui raconte des histoires.


Les Cargos du Crépuscule - © Tillieux/Dupuis

N. – Vous dîtes dans Un Opéra Pictural (1) que raconter des histoires est votre seul travail, que ce soit au travers de la scénographie ou du dessin. Vous appréciez d’ailleurs beaucoup le sens narratif de la décoration chez Victor Horta. Quel a été le fil narratif qui a traversé votre approche ?

François Schuiten – Il y avait plusieurs aspects dans ce projet. Le parcours de Claude Diouri, la défense qu’il fait des films d’Arts et d’Essais, des films d’auteurs. C’est déjà, en soi, quelque chose qui me touche. Le fait que ce projet se passe à Bruxelles m’a aussi motivé. Je suis intéressé par les changements de cette ville et par le fait qu’elle se réapproprie le canal. Un autre aspect qui m’a interpellé, c’était de réfléchir à tout ce qu’implique l’idée de monter sur une péniche pour voir du cinéma. C’est en cela que mon travail de raconteur d’histoires peut être intéressant. Il fallait conserver l’émotion du voyage pour les gens qui vont pénétrer dans cette péniche. J’aimerais que le public garde cette émotion en tête jusqu’au moment où la salle s’éteint. C’est un aspect qui me hante.


Axel Wappendorf - © Schuiten/Peeters/Casterman


N. – Un aspect fascinant de ce projet tient de l’idée du « voyage immobile », de monter dans un bateau à l’arrêt pour expérimenter une autre forme de transport.

François Schuiten – C’est exact. Il est important de faire « bouger » les salles de cinéma. Avec les écrans géants, les projecteurs vidéo à la maison, on remarque que les gens ont de plus en plus de qualité d’image chez eux. Il faut donc procurer autre chose aux spectateurs qui vont dans une salle de cinéma. Je trouve que nous avons un projet emblématique à cet égard. On peut leur offrir une émotion au travers de ce canal que les Bruxellois ont un peu oublié. Ils redécouvrent la composante aquatique de cette ville en allant au cinéma. C’est une idée qui me plait bien et mon travail est de conserver ces éléments avec la collaboration de l’architecte et de Claude Diouri.

N. - Dans les Cités Obscures, vous aimez jouer avec les « hybridations », la fusion d’éléments de divers moyens de transports pour former un nouveau véhicule (au travers des inventions d’Axel Wappendorf). Retrouvera-t-on ces aspects fantastiques dans le bateau comme pour le Gigantic ?

Le Gigantic - © François Schuiten


François Schuiten – Non. Le projet ne peut pas introduire pour moi un fantastique du même ordre que celui des Cités Obscures. On est dans un projet très différent car nous sommes dans une vraie péniche. On est vraiment sur l’eau et le contexte du canal est une réalité. Je n’ai donc pas le même désir. J’ai dit à Claude Diouri : « pas de faux ». Je ne veux pas de faux hublots, je veux de vrais matériaux qui ont une sensualité, qui ont une présence. Ici, c’est le film qui tient du fantastique. En réalité, nous travaillons sur l’écrin et celui-ci doit avant tout donner le désir de voir un film. Autant j’aime faire rêver les gens dans le cadre d’une Exposition Universelle, autant ici il faut leur apporter une crédibilité. J’ai tenu à ce que le bateau reste un bateau.

N. – Dans votre travail de restauration de la Maison Autrique avec Benoît Peeters, vous avez tenu à ouvrir une porte sur l’imaginaire. Avez-vous conservé cette idée de « passage » que l’on retrouve dans les Cités Obscures ou dans vos scénographies (comme celle de la Porte de Hal) ?

François Schuiten – J’espère que l’Actor’s Boat sera un lieu d’imaginaire. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est le mystère qu’ont certains lieux. Je désirais « mettre ce mystère en évidence ». Pour donner un exemple, j’ai placé des rideaux dans l’immense partie centrale en verre qui tiendra lieu de hall d’entrée. Je n’ai pas envie que cet espace soit dévoilé aussi facilement. Il y aura cependant quelques rideaux entrouverts afin de créer un désir, de donner l’envie d’entrer. Mais cela rappelle aussi les rideaux qu’il y a aux péniches ainsi que ceux d’une scène qui s’ouvre. Ce rapport m’intéresse beaucoup car ce n’est pas une intervention de l’ordre de la décoration pure. Ce sont toutes des petites articulations qui ne sont ni d’un ordre ni d’un autre. Il y a des fils à nouer et j’ai le sentiment de trouver ma place dans l’accompagnement de ce projet au travers de ce travail « interstitiel ». J’ai traqué un ensemble d’éléments invisibles que j’ai relié pour former un récit souterrain.

Le Passage Inconnu (1993) - Porte de Hal - © Schuiten


N. – Avez-vous mis le cinéma à l’honneur au travers de fresques ou d’autres aspects de la scénographie ?

François Schuiten – Nous envisageons quelque chose. J’espère que nous parviendrons à le faire pour le délai de septembre. Nous avons pensé à un plafond mais le projet est assez complexe. J’aimerais le relier à l’eau, à l’hydrographie et en même temps au cinéma. J’ai une idée qui pourrait relier l’ensemble. J’ai cette envie mais il ne faut pas qu’elle soit gratuite. Dans le même temps, il faut garder une certaine sobriété. Je recherche donc une forme d’évidence. Je ne veux pas tomber dans le « décor », dans la chose un peu boursouflée. Cela m’a fort intéressé de travailler avec l’architecte sur cet aspect pour trouver le matériau juste, pour ne pas avoir d’effet. Ca a l’air idiot à dire mais la simplicité est parfois quelque chose de difficile.

N.- Ce n’est pas votre premier travail lié au cinéma. Vous avez participé à la conception de costumes (Gwendoline de Just Jaeckin), de décors (Taxandria de Raoul Servais) ainsi qu’au projet Cité-Ciné. Vous avez une affection particulière pour ce moyen d’expression ?

François Schuiten – J’aime beaucoup le cinéma. Je travaille actuellement avec Jaco Van Dormael (ndlr : Toto le Héros et Le Huitième Jour) pour son prochain film et le scénario est époustouflant. J’espère simplement que ce projet pourra se réaliser. J’ai aussi écrit un scénario avec Benoît Sokal sur lequel nous travaillons maintenant depuis deux ans. Mais le cinéma est particulièrement difficile et j’ai le sentiment que c’est beaucoup plus compliqué et que je ne suis pas assez obsédé par ça pour que j’en oublie tout le reste. J’ai autant d’émotions, si pas plus, à lire une grande bande dessinée. Je suis souvent agacé lorsque les gens pensent que le cinéma est au-dessus de la bande dessinée. Il y a des bandes dessinées extraordinaires et des films extraordinaires. Je n’aime pas cette hiérarchie. Voir une de mes bandes dessinées adaptée au cinéma n’est pas un but en soi pour moi.

Détail d'une illustration pour l'Actor's Boat - © François Schuiten

N. - Avez-vous travaillé sur l’intégration du bateau au site qui l’entoure ?

François Schuiten – On aurait voulu profiter de l’endroit où l’on descend sur le quai mais cela risque de ne pas être possible. On a beaucoup réfléchi à la façon dont le bateau allait être signalé, dont on allait le voir. Je ne voulais pas qu’il y ait trop de choses sur le quai. Je voulais qu’un quai reste un quai. Il ne faut pas non plus modifier la passerelle car sinon on enlève tout une part de ce qui est spécifique à cet acte de passage du quai au bateau même.

N.- Le thème de la navigation vous inspire-t-il plus particulièrement ?

François Schuiten – La navigation en tant que voyage m’intéresse mais ce qui me fascine réellement c’est l’objet bateau. J’adore les coques de bateau. Les coques sont fascinantes pour un dessinateur car on sent que leurs formes ne sont pas gratuites. Elles sont épurées, elles sont arrivées à leur essence même. Dessiner des coques procure beaucoup d’émotions car je sens ceux qui les ont conçues. J’ai d’ailleurs dessiné le bateau « en l’air » pour l’affiche de l’Actor’s Boat car j’avais envie de dessiner sa coque, les hélices, les ancres. Je trouve ces éléments d’une grande beauté. J’adore tout ce qu’on ne voit pas. Pour moi, un dessin doit d’ailleurs avoir pour vocation de montrer ce qu’on ne voit pas. Ces aspects invisibles, qu’on ne peut pas voir au travers de la photographie, doivent être dévoilés et s’inscrire dans la tête du public.

Détail d'une illustration pour l'Actor's Boat - © François Schuiten


N. – Pour le Vaisseau du Désert d’Alex Wappendorf, vous vous êtes inspiré du style Art Déco du Normandie. Retrouvera-t-on ce type de référence sur l’Actor’s Boat ?

François Schuiten – Non car je voudrais quelque chose de plus pur, du plus simple possible. Ce sont les matériaux que je vais utiliser afin de me relier à une tradition de bateaux. Je voudrais presque que l’émotion soit le canal, l’eau. Je suis préoccupé par tout type d’intervention tapageuse. Je veux aussi éviter les clichés.

N. – Une ambiance sonore a-t-elle été envisagée au moment de concevoir la scénographie ?

François Schuiten – Le problème de l’isolation phonique a été notre première préoccupation. Je ne suis pas pour l’ajout d’un environnement sonore car pour moi le canal a déjà son propre environnement. Il faut éviter l’artificiel. Mon intervention reste donc modeste. Chris Ware est un dessinateur extraordinaire mais il ne montre pas sa virtuosité. Il fait preuve d'une grande modestie. C’est ce que je voudrais atteindre au travers de cet espace. Je voudrais un espace sobre, pour voir ce qu’on doit voir, et juste ce qu’on doit voir. Je travaille d’ailleurs sur une histoire en noir et blanc justement pour casser tout l’aspect « couleurs ». J’adore travailler la couleur mais j’ai envie de revenir à l’essentiel. Avec le noir et blanc, on doit mieux savoir ce que l’on dit. C’est une espèce d’électrochoc pour un dessinateur. Franquin disait toujours : « tu dois faire du noir et blanc ».

N. – Le noir et blanc reprend progressivement sa place en bande dessinée.

François Schuiten - Oui. Ces dernières années ont principalement été dominées par des couleurs qui n’avaient plus de fonction. Elles servaient surtout à rendre « joli » mais ça n’a pas grand intérêt. Il y a là un manque de réflexion sur la couleur alors qu’elle peut avoir un rôle magnifique. Le noir et blanc est intéressant car il permet justement de retourner à l’écriture. La couleur ne peut pas venir vous sauver. Elle ne peut rien camoufler. Et c’est loin d’être évident.

© Chris Ware/Seth/Ludovic Debeurme


Note de l’auteur : Sur une table basse de l’atelier de François Schuiten, j’aperçois quelques albums dont l’excellent Lucille de Ludovic Debeurme, le Wimbeldon Green de Seth et le Acme Novelty Datebook de Chris Ware. Une planche du Little Nemo de Windsor McCay est encadrée non loin de l’endroit où nous sommes assis. La conversation s’oriente alors sur quelques lectures…

N. – Je suppose que les albums de Chris Ware font parties de ces « bandes dessinées extraordinaires » dont vous parliez précédement. Avec Little Nemo d’un côté et l’Acme Novelty de l’autre, on est entouré par les deux œuvres majeures qui encadrent un siècle de Bande Dessinée

François Schuiten – C’est exact. J’ai une admiration extraordinaire pour Chris Ware. Je pense que c’est un génie dans le sens où c’est un très grand dessinateur et en même temps, comme McCay, il s’intéresse au code. Il s’interroge sur la narrativité graphique et c’est quelque chose de très rare. Les très grands dessinateurs cessent rapidement de s’intéresser aux codes. De leur côté, McCay et Chris Ware parviennent à être et à rester au cœur même de ce qu’est la Bande Dessinée. Pour moi ce sont des maîtres absolus.

N. – Le génie graphique de Chris Ware transparaît très clairement dans son Acme Novelty Datebook. Il maîtrise tous les styles. Il est capable de « citer » des auteurs comme George Herriman ou Crumb avec une telle facilité.

François Schuiten – C’est un auteur absolument incroyable. Il sait effectivement tout faire. C’est la raison pour laquelle cet album traîne toujours sur le coin de ma table car je n’en reviens pas. Comme vous le signalez, il s’essaie tantôt à faire du Crumb tantôt du Herriman. En cela, il est au cœur de ce qu’est l’écriture. Il s’intéresse à ce qu’est « l’écriture bande dessinée ». J’étais très fier d’avoir donné un prix à Jimmy Corrigan.

(1) Un Opéra Pictural, cf. chapitre consacré au Transsibérien, collectif/Bruno Letort, iEditions!, fév. 2006.

(Entretien réalisé par Nicolas Verstappen en juin 2006 pour la revue WhiteNight- © 2006 Nicolas Verstappen/François Schuiten- un grand merci à François Schuiten pour son acceuil chaleureux)



2. Rencontre avec André Benn

Un entretien avec André Benn, le créateur de Mic Mac Adam, est aussi disponible sur le site de La Bulle d'Or.



jeudi, juillet 20, 2006

Xeroxed (IV): Debbie DRECHSLER

Daddy's Girl est un chef d'oeuvre méconnu du Neuvième Art. Jettez-vous dessus si vous en avez l'occasion. J'espère que le sujet qui suit vous convaincra de découvrir cet incontournable. L'essai de Richard Sala et la chronique de Fred devraient y parvenir sans peine.
Un grand merci à Debbie Drechsler, Richard Sala et JC Menu!

1. Biographie de Debbie DRECHSLER

Autoportrait de Debbie Drechsler (© Drechsler)

Née en 1953 aux Etats-Unis, Debbie Drechsler est attirée très tôt par le dessin et principalement par l’illustration. Si la Bande Dessinée de super-héros l’intéresse durant son adolescence, elle ne prêtera plus attention à ce médium pendant de nombreuses années. C’est en découvrant un numéro de la revue féministe Wimmin’s Comix que la Bande Dessinée refait apparition dans sa vie.
Après des études aux Beaux Arts, dans le design graphique et l’imprimerie, Debbie Drechsler décroche de nombreux postes d’illustratrice. Sa rencontre avec le dessinateur Richard Sala la mènera à renouer plus concrètement avec le 9ème Art. Ses strips seront remarqués par l’éditeur alternatif américain Fantagraphics Books (1) qui les réunira dans un album baptisé Daddy’s Girl (1996). Malgré l’accueil unanime de la critique face à cet ouvrage bouleversant, Debbie Drechsler poursuit son travail artistique avec beaucoup de discrétion. The Summer of Love, la compilation de sa mini-série Nowhere, révèle à nouveau son indiscutable talent. Daddy's Girl et The Summer of Love ont été édités en français par l'Association.

Le site de Debbie Drechsler : www.debdrex.com
Ses illustrations : Laughing Stock

(1) Fantagraphics Books (www.fantagraphics.com): maison d’édition américaine alternative fondée en 1976. En plus de se vouer à la réédition de classiques du 9ème Art (The Complete Peanuts, Krazy and Ignatz,…), elle édite parmi les plus grands auteurs indépendants contemporains : Charles Burns, Crumb, Los Bros Hernandez, Daniel Clowes, Jason, Chris Ware… Elle édite aussi la prestigieuse revue critique baptisée The Comics Journal.


2. "Debbie et Daddy’s Girl" - un essai de Richard SALA

2.1 Richard SALA

La réputation de Richard Sala n’est plus à faire. Illustrateur pour le New York Times, il réalise plusieurs récits pour la prestigieuse revue Raw d’Art Spiegelman. Il travaille aujourd’hui sur sa série Evil Eye publiée par Fantagraphics Books. Les éditions Coconino/Vertige nous annoncent deux séries de l'auteur dans la collection Ignatz.

Une présentation de l’auteur est disponible sur son site : www.richardsala.com

Couverture américaine de Daddy's Girl - © Drechsler


2.2 "Debbie et Daddy's Girl" par Richard Sala

J’ai rencontré Debbie vers le milieu des années ’80 au San Francisco Chronicle. J’y livrais les illustrations que le journal me commandait et elle y travaillait comme membre de l’équipe artistique. Nous étions déjà attentifs aux travaux de l’autre et nous les appréciions. Nous en sommes venus à dîner ensemble lorsque je me rendais de Berkeley à San Francisco pour y déposer mes dessins. Nous partagions une esthétique commune, nous étions issus tous deux du milieu des Beaux-Arts (ce qui est peu courant pour des illustrateurs) et je crois que nous partagions aussi un sentiment ; la frustration de ne pas exploiter à fond notre véritable potentiel (bien que nous fûmes toujours reconnaissants du moindre travail d’illustration que nous réussissions à décrocher). La vie d’un illustrateur peut être en cela très exaspérante.
Les directeurs artistiques (dont la plupart ne possède même pas une quelconque expérience artistique) sont toujours persuadés qu’ils en savent plus que vous et les responsables éditoriaux (qui n’ont souvent que très peu d’imagination sur le plan visuel) sont toujours persuadés qu’ils en savent plus que les directeurs artistiques.

J’avais débuté une carrière dans la Bande Dessinée quelques années auparavant afin de satisfaire mon besoin impérieux de créativité. J’étais un fan de bd de longue date doublé d’un écrivain frustré, ainsi les bandes dessinées étaient pour moi le remède parfait à l’atrophie créative. Lorsque j’ai rencontré Debbie, mes bandes dessinées avaient déjà été publiées dans le RAW d’Art Spiegelman ainsi que dans plusieurs autres anthologies. Debbie s’intéressait aux bandes dessinées mais elle semblait néanmoins aborder cette forme d’expression avec une certaine appréhension. Elle semblait croire que la narration n’était pas son fort et elle ne connaissait que très peu ce domaine. Quoi qu’il en fût, elle était intriguée et je me mis donc à l’encourager dans cette voie.
Ainsi, après avoir vu une petite brochure promotionnelle qu’elle avait baptisée InkSpots, il me sembla limpide qu’elle était un auteur naturellement doué. Nous avions partagé le triste récit de nos enfances et de nos vies respectives, sans rentrer cependant dans les détails, et je lui avais confié que mes bandes dessinées étaient pour moi une sorte d’exorcisme. Je réalisais des fables sombres et métaphoriques, influencées par Kafka et par des récits d’horreur. Celles-ci remontaient à la surface dès que je m’asseyais pour écrire.
Il s’avéra que non seulement Debbie ETAIT un auteur naturellement doué mais que l’histoire qu’elle choisit de raconter, une histoire vraie de son enfance, était plus perturbante que n’importe quel rêve fiévreux et fictionnel que j’avais écrit.

Ink Spots

de Debbie Drechsler (© Drechsler)


Visiteurs dans la nuit – ou l’album qui sera plus tard baptisé Daddy’s Girl – est un chef-d’œuvre de l’horreur. Et cela est d’autant plus horrifiant que le récit est vrai et que les scènes dépeintes, l’innocence assassinée, les actes destructeurs d’âme, se déroulent en ce moment, chaque jour, à travers le monde. Maintenant on peut aussi dire que cette histoire en elle-même n’a rien de neuf. En fait, les Etats-Unis des années ’90 voient se porter une telle attention sur ces cas atroces d’abus d’enfants qu’ils plongent presque dans l’hystérie.

Quoi qu’il en soit, ce qui rend le récit de Debbie si original et à vous glacer le sang tient principalement en deux choses : tout d’abord, la structure du récit est complètement différente de la manière dont les autres histoires d’abus d’enfant sont habituellement racontées. Dans ces histoires, l’abus est généralement le climax bouleversant ou la « révélation » (comme les affairistes d’Hollywood se plaisent à l’appeler ces derniers temps), le secret enfoui, la motivation des actions d’un personnage ou que sais-je encore. Dans le récit de Debbie, la séquence initiale de l’abus se déroule vers le début et est presque dépeinte de manière prosaïque. C’est une scène horrible et inattendue mais nous suivons sans attendre ce petit protagoniste durant le restant de sa nuit ainsi que le jour suivant. Cette scène est dénuée de tout prêchi-prêcha, de toute hystérie ou de toute prétention. C’est tout simplement la vie de cette petite fille… et cela est sombre, sombre, sombre.

Le second facteur tient du rendu graphique utilisé par Debbie dans ce récit ; les dessins des personnages avec leurs grands yeux pleins d’espoir (et pourtant condamnés), l’espace sans dessus dessous qu’ils habitent – sols se redressant pour frapper le lecteur en plein œil, pièces qui semblent vivantes, expressionnisme autant que mal de mer. Ses dessins dépeignent le sentiment d’innocence dérobée, d’un regard à la pureté corrompue, d’une douceur qui tourne à la nausée. Ils vous brisent le cœur.

Je pense que l’on peut dire sans prendre trop de risque qu’il n’y avait jamais eu une bande dessinée équivalente avant Daddy’s Girl. Probablement est-ce lié au fait que Debbie ne possédait qu’une connaissance très relative de l’Histoire de la Bande Dessinée et qu’elle ne se soit posée aucune limitation sur un plan personnel ou formel. Peut-être a-t-elle été capable de mettre à jour un potentiel que ceux qui travaillaient dans ce domaine depuis toujours n’ont jamais aperçu.

Dans une scène particulièrement forte, la petite fille vomit de manière soudaine après avoir mangé un cookie. Cette scène est choquante mais est surtout terriblement cathartique. Dans un sens, je pense que c’est un moment très personnel, voire métaphorique. Après tout, certaines choses ne peuvent pas être contenues, elles doivent tout simplement sortir. Et rares sont les artistes qui parviennent à révéler quelque chose au grand jour et sous une lumière neuve. Debbie est de ceux-là.

Richard Sala
Juillet 2004

Essai rédigé pour le Xeroxed #4 - © Richard Sala/Nicolas Verstappen




3. "A propos de Daddy's Girl" - un entretien avec JC MENU

3.1 JC MENU

Membre fondateur de l’Association, JC Menu est devenu l’un des acteurs incontournables de l’édition alternative européenne. Ses travaux autobiographiques (Livret de Phamille) aussi bien qu’expérimentaux (Gnognottes, Oupus) jouissent d’une grande reconnaissance qui trouve sa consécration dans une « munographie» (1) éditée par l’AN 2.

3.2 Entretien avec JC MENU

Nicolas – Quel fut votre première rencontre avec l’œuvre de Debbie Drechsler ?

JC Menu – La découverte de la version originale chez Fantagraphics. Les éditions Amok (2) voulaient le faire aussi, et l'auteur avait dit oui aux deux éditeurs à quelques mois d'intervalle... ça avait fichu un peu la pagaille.

N. – Comment le projet de publier Daddy’s Girl dans le catalogue de l’Association se met-il à germer ? Est-il accepté à l’unanimité par l’équipe éditoriale ?

JC Menu – La puissance de ce livre a enthousiasmé tout le monde. Debbie Drechsler est par ailleurs illustratrice, néanmoins c'est exceptionnel qu'un premier livre de bandes dessinées ait une tenue pareille.

N. – Cet album n’aurait-t-il pas mérité un plus grand engouement public au vu de ses indiscutables qualités ?

JC Menu – Assurément. Mais question engouement, grâce à trois cases reproduites dans "Beaux Arts magazine"(3), j'ai tout de même eu le plaisir d'être convoqué par la police... (je raconte ça dans Lapin).

N. – La présence de planches couleurs au milieu de cet album noir et blanc vous posa-t-elle un quelconque problème technique ?

JC Menu – Nous étions ravis que Debbie Drechsler nous propose ces pages supplémentaires inédites dans l'album original et qui semblaient indispensables à son propos. Cela n'a pas posé de problèmes même si c'était une des premières fois qu'on voyait de la quadrichromie à L'Association.

N. – Vous prenez personnellement en charge la traduction de Daddy’s Girl. Avez-vous rencontré des difficultés à rendre toutes les expressions de cette jeune héroïne ?

JC Menu – Je ne suis pas traducteur professionnel, mais j'ai essayé de retranscrire au mieux ce langage parlé et argotique assez brutal. Ce livre a été lettré par Jean-Yves Duhoo (4). Les phylactères de Drechsler étant très près des lettres, il a souvent refallu adapter le dessin autour. Quand on veut faire ça bien, c'est un travail énorme.

N. – Y a-t-il une raison particulière qui vous ait poussé à garder le titre Daddy’s Girl en anglais (certains titres de chapitres sont d’ailleurs traduits en français, d’autres pas…)?

JC Menu – Une traduction possible aurait été "La fille à son papa", ce qui semblait gnangnan, voire hors de propos. Du coup, il a été décidé de garder le titre en anglais compréhensible par tous. Il en sera de même pour Summer of Love bien sûr.

N. – Debbie Drechsler apprécie de réaliser ses propres maquettes de couverture. Réussissez-vous toujours à satisfaire le désir de l’auteur tout en gardant la touche « Association » ?

JC Menu – À partir du moment où il y a des contraintes de collection, il faut bien tomber d'accord avec l'auteur. Sur Daddy's Girl, ça s'est très bien passé, et tout le monde était content, semble-t-il.

Couverture de la version française par l'Association (© Drechsler)

N. – Cette couleur rose pour la couverture de Daddy’s Girl crée un profond décalage avec le contenu si sombre de l’album. Était-ce une volonté du maquettiste ?

JC Menu – C'est plutôt une couleur chair... (choisie par Debbie).

N. – The Summer of Love fut d’abord annoncé pour mai 2003 et fut reporté jusqu’en mai (5) de cette année. Quelle fut la raison de ce délai supplémentaire ?

JC Menu – Trop de travail, trop de projets... et techniquement, de surcroît, le fait de devoir adapter les lettrages en deux couleurs est très fastidieux.

N. – Debbie Drechsler espérait pouvoir retourner aux tonalités brunes de Nowhere pour la version française. Avez-vous retouché la bichromie pour cette édition de Summer of Love ?

JC Menu – Etant donné qu'elle n'est satisfaite d'aucune des bichromies précédentes, on va essayer de se mettre d'accord sur une nouvelle combinaison. Tout en gardant le côté fané de l'ambiance, il me semble possible de trouver une harmonie plus contrastée et convaincante. Ce n'est pas une bichro très simple, puisque chaque teinte apporte quelque chose mais c'est la superposition des deux qui donne le trait.

Entretien réalisé en 2004 - © JC Menu/Nicolas Verstappen

(1) Collectif, Munographie, janvier 2004, éditions de l’AN 2.
(2) Les éditions Amok ont fusionné depuis avec l’éditeur belge Fréon pour donner le Frémok.
(3) Trois cases reprises dans le Beaux Arts magazine hors-série : « Qu’est-ce que la BD ? Aujourd’hui », janvier 2003, Beaux Arts SA, page 23.
(4) Jean-Yves Duhoo : auteur de bandes dessinées que l’on retrouve dans les revues Ego comme X ainsi que dans les Lapins de l’Association, les Fusée ou encore dans le Bang ! n°2.
(5) Et même jusqu’en août 2004 durant la réalisation de ce carnet.





4. Entretien avec Debbie DRECHSLER

Nicolas – Comment vous définiriez-vous ? Comme une illustratrice réalisant occasionnellement des bandes dessinées, comme un auteur de Bande Dessinée gagnant sa vie grâce à ses illustrations ou encore différemment ?

Debbie Drechsler – Disons que je suis une illustratrice qui a fait de la Bande Dessinée un temps. J’ai commencé ma carrière comme illustratrice et lorsque je me suis sentie restreinte sur un plan créatif, je suis passée à la Bande Dessinée. Par après, ce fut l’inverse. J’en ai eu assez de réaliser des albums ; j’avais le sentiment que je devais travailler dessus chaque jour, à chacun de mes instants libres pour parvenir à les terminer… en retard. Aujourd’hui, j’ai trouvé des occupations plus légères, plus douces qui satisfont mes besoins artistiques.

N. – Vous êtes retournée à la peinture ?

Debbie Drechsler – Non, je travaille le tissu. J’ai débuté le tricot il y a des années de cela et je réalise mes propres filages aujourd’hui. J’apprends aussi à tisser. J’ai toujours aimé les fils et les tissus et je me sens à la fois méditative et fascinée lorsque je les travaille. Cela ne cesse de me surprendre de partir d’une pile de laine en flocons et d’arriver à un vêtement ou à un objet.

N. – Vos réalisations en tissu reprennent des motifs figuratifs ou abstraits ?

Debbie Drechsler – Aucun des deux ! Elles sont entièrement utilitaires. Je réalise des choses que l’on peut employer ou porter comme des sweaters, des chaussettes, des sacs (ou des sacs à main) et des vêtements courants. Je couds la plupart de mes propres habits ! J’apprécie beaucoup créer de « belles » choses à utiliser par opposition aux « belles » choses que l’on pend aux murs ou desquelles il faut prendre soin. C’est en partie pour cela que j’aime aussi réaliser des bandes dessinées ou des travaux destinés à l’impression car ils ne sont pas « précieux ».

N. – Richard Sala vous considère comme un auteur « naturellement doué » mais vous semblez malgré tout lutter avec vos œuvres de Bande Dessinée. Partagez-vous le sentiment d’ Art Spiegelman lorsqu’il déclare que « le dessin n’est pas un acte naturel » (1) ?

Debbie Drechsler – Je pense que le dessin n’est pas un acte « non naturel » mais les méthodes répétitives, « obsessionnelles » requises pour la Bande Dessinée sont difficiles. Je trouve que d’avoir à dessiner sans cesse les mêmes choses encore et encore ôte véritablement à l’amusement que procure le dessin.

N. – L’utilisation de l’ordinateur durant la réalisation de The Summer of Love tient-elle d’une volonté de faciliter certains aspects contraignants du dessin ?

Debbie Drechsler – En fait, j’ai réalisé tous les traits des dessins sur papier puis je les ai scannés avant de remplir les zones sombres et d’ajouter la seconde couleur par ordinateur. J’ai joué avec quelques motifs sur l’ordinateur mais ce dernier ne soulage vraiment pas de l’ennui provoqué par le dessin, du moins pas dans mon cas ! Il était néanmoins plus facile et plus évident de réaliser la seconde couleur par ordinateur. Je ne peux pas employer les calques en plastique (NDLA : pour cause d’allergie) qui sont souvent utilisés et j’ai découvert que les calques en papier fin changent de taille et de forme avec les variations de température et d’humidité. L’ordinateur fut donc une vraie bénédiction à cet égard !

N. – Si le travail de dessin vous étouffait parfois à ce point, ne trouveriez-vous pas votre bonheur dans l’écriture de scénario ou dans le roman ?

Debbie Drechsler – J’ai pensé à ces deux options… Je ne pense pas que je serais capable d’écrire un scénario et de le confier à un autre dessinateur ! Je suis bien trop maniaque pour ça ! Je ne crois pas non plus être capable d’écrire sans dessiner mais j’y pense.

N. – À un moment de votre carrière vous passiez donc régulièrement de l’illustration à la Bande Dessinée et inversement. Comment expliquez-vous qu’il existe cependant une grande différence stylistique entre vos illustrations et vos albums?

Debbie Drechsler – C’est assez simple en fait. Les dessins d’illustration et de Bande Dessinée servent deux fonctions bien distinctes. Dans la Bande Dessinée, le graphisme fait partie du récit et doit donc être plus réaliste comme il est plus informatif. Une partie de l’histoire est racontée en images et celles-ci doivent ainsi être plus explicites. Le dessin d’illustration est quant à lui destiné à une fonction décorative. Il doit en fait attirer l’attention du lecteur vers l’histoire sans pourtant trop lui en dévoiler. Je les réalise donc d’une manière plus symbolique et suggestive. Sa fonction sur la page est d’ailleurs très différente. C’est un oasis dans une mer de caractères dactylographiés et c’est la raison pour laquelle j’utilise de la couleur et des formes plus simples pour attirer l’attention.

Illustration de Debbie Drechsler pour une carte postale sur le thème du printemps (© Drechsler)


N. – Votre entrée dans le monde de la Bande Dessinée s’est faite par l’intermédiaire de deux rencontres déterminantes. Quel fut l’impact de Lynda Barry (2) et de Richard Sala sur votre parcours artistique ?

Debbie Drechsler – Avant de découvrir leurs travaux, je ne percevais pas réellement la Bande Dessinée comme une forme d’art. C’est triste mais vrai ! J’ai d’abord découvert le travail de Lynda Barry et cela a complètement renversé cette vision des choses ! Le contenu de ses œuvres m’a parlé bien plus que tout ce que je connaissais en Bande Dessinée ou dans n’importe quelle autre forme artistique. C’était à la fois drôle et personnel. Elle racontait des histoires émouvantes avec une grande économie. Cela m’a donné un nouveau respect pour la Bande Dessinée en tant que forme artistique. Découvrir le travail de Richard et en parler avec lui a ajouté de l’essence sur ce feu. Il avait par ailleurs débuté comme peintre avant de passer à la Bande Dessinée.

N. – Daddy’s Girl relate plusieurs tranches de vie d’une jeune fille qui subi les abus sexuels de son père (3). Cette jeune fille portait votre nom dans une première version et fut modifié en « Lily » par la suite. Passiez-vous par là de l’autobiographie à l’autofiction ?

Debbie Drechsler – Je n’ai utilisé mon prénom que dans le premier chapitre intitulé Visiteurs dans la nuit puis je l’ai modifié. J’ai pris conscience que si j’écrivais une autobiographie fidèle, mes récits en pâtiraient. J’ai donc repris des éléments qui s’étaient réellement passés et j’ai construit et façonné à partir d’eux des histoires qui fonctionnaient mieux que ce que la « vérité brute » ne l’aurait fait (à mon sens). J’avais besoin que mes personnages soient fictionnels pour me sentir plus à l’aise avec cette approche.

N. – L’écriture de Daddy’s Girl vous a-t-elle permis au final de trouver un soulagement ou est-ce une illusion de croire que ce type d’autobiographie apporte un réconfort?

Debbie Drechsler – Ca a marché pour moi.

N. – Avez-vous consulté des ouvrages sur les abus d’enfants avant, pendant ou après la réalisation de Daddy’s Girl ?

Debbie Drechsler – J’en ai lus plusieurs quelques années auparavant car j’étais intéressée par le sujet et non pas comme une préparation à mes albums.

N. – Vous déclarez dans un interview que Daddy’s Girl a été écrit dans un état « proche de la transe ». Les copyrights de vos chapitres s’étalent pourtant entre 1992 et 1996. Comment cet album a t-il vu le jour ?

Debbie Drechsler – Cet ensemble de courts récits a été écrit sur une période d’un an et fut publié dans deux journaux alternatifs américains, le New York Press et le Stranger de Seattle. Lorsque j’écrivais ces récits, je les imaginais tous comme faisant partie d’une longue histoire. Je les pliais simplement au format hebdomadaire dans lequel ils étaient publiés.

N. – Les récits en couleurs étaient aussi destinés à ces journaux ?

Debbie Drechsler – Non. Une partie de ces récits furent écrit la même année et j’en ai rajouté certains qui furent écrit plus tard (si je me souviens bien). Aucun des chapitres en couleur ne fut publié dans les journaux. Ces chapitres, si ma mémoire est bonne, furent publiés par Drawn & Quarterly (4). Les copyrights ne mentent donc pas…

N. – Drawn & Quarterly publie d’ailleurs votre Summer of Love. Pourquoi avoir signé chez cet éditeur et non plus chez Fantagraphic Books qui publia votre Daddy’s Girl ?

Debbie Drechsler – Sincèrement ? Par loyauté. C’est dans une anthologie de Drawn & Quarterly que furent publiées mes premières histoires.

Couverture française de The Summer of Love (© Drechsler)


N. – Pour l’édition française de Daddy’s Girl, vous semblez avoir hésité entre Amok et l’Association.

Debbie Drechsler – En fait, il y a eu de gros malentendus entre les deux éditeurs et moi-même, malentendus qui ont débutés avec la publication de Daddy’s Girl. Je rajouterai d’ailleurs sans attendre qu’ils étaient entièrement de ma faute. Ainsi j’ai voulu m’assurer que je n’avais pas commis de tort plus important envers quiconque et j’ai tenu à arranger tout cela afin que les éditeurs ne soient pas fâchés contre moi ou entre eux. Au final, les deux éditeurs sont parvenus à un accord et j’ai accepté (5).

N. – Publier un mélange de pages en couleur et de pages en noir et blanc ne posa-t-il pas un problème pour l’Association ?

Debbie Drechsler – L’éditeur et moi désirions les publier comme ils avaient été conçus. Nous avons seulement dû faire quelques modifications afin que les pages correspondent toutes au même format.

N. – Ces mélanges esthétiques et stylistiques donnent un côté « organique » à Daddy’s Girl. Ne craigniez-vous pas de perdre cet impact en débutant Nowhere ?

Debbie Drechsler – Je n’avais aucune appréhension mais ce fut une expérience très différente. J’ai dû fournir beaucoup plus d’efforts pour arriver à cette histoire et garder mon rythme de travail. De plus, c’était une activité que j’exerçais sur le côté. La plupart du temps, j’accordais une importance plus grande à ce que je faisais ; je pensais aux personnes qui liraient cet album et à ce qu’elles en penseraient. C’est un aspect qui m’importait moins durant l’écriture de Daddy’s Girl.

N. – Avant d’être édité en album, Summer of Love fut prépublié en divers fascicules baptisés Nowhere. Qu’est-ce qui vous poussa à changer le titre des fascicules en The Summer of Love ? Passiez-vous d’un espace à une durée, à une atmosphère ?

Debbie Drechsler – À l’origine je pensais donner le nom Nowhere à une série d’albums et The Summer of Love à l’un de ces albums. Cette série n’est pas allée plus loin…

Une planche de Summer of Love (© Drechsler - L'Association)


N. – En passant à la compilation de The Summer of Love, vous modifiez la bichromie originale de Nowhere. Pourquoi ce changement ?

Debbie Drechsler – (Soupir !) Cette fameuse modification de couleurs ! C’est tout simplement parce qu’elles n’ont jamais vraiment fonctionné. Je suis issue de l’univers du design graphique où les couleurs du pantone (6) sont sans cesse utilisées. Malheureusement, les imprimeurs et les éditeurs ne sont pas familiers avec leur utilisation et j’ai eu des problèmes de communication liés à celles-ci. J’ai donc modifié les couleurs afin de les rendre plus faciles à regarder mais cela n’a pas marché. J’espère pouvoir revenir aux couleurs originales pour la version française.

N. – Cette mise en couleur en bichromie est assez particulière. Est-elle liée à votre intérêt pour les Beaux-Arts ? Elle rappelle les gravures sur bois de certains artistes expressionnistes allemands.

Debbie Drechsler – Cela vient plutôt de mon arrière-plan des arts graphiques. Avant d’utiliser l’ordinateur, il était habituel d’économiser de l’argent en imprimant avec deux ou trois couleurs plutôt qu’avec quatre. Souvent un client désirait une impression couleur mais ne disposait que d’un budget pour deux couleurs et non pour quatre. Si vous étiez un illustrateur ou un designer, vous connaîtriez ces chiffres du pantone par cœur !

N. – Le rapport à la troisième dimension est aussi très intéressant dans Summer of Love. Le traitement que vous en faîtes rappelle celui de Matisse durant la période où il désirait faire coexister simultanément la deuxième et troisième dimension. Il utilisait un sens aigu de la perspective qu’il niait par l’usage systématique de surfaces planes (papiers peints, nappes et autres tissus). Quel est votre rapport à l’espace dessiné ?

Debbie Drechsler – En tant que dessinatrice, j’ai tendance à tomber dans le piège du « rendu réaliste ». Ainsi, j’ai passé la plus grande partie de ma carrière artistique à tenter de lutter contre ce penchant. Si je ne le fais pas, j’ai d’ailleurs le sentiment que mon travail devient surchargé et ennuyeux à regarder (et à faire !). Ainsi, j’aime jouer avec un approche qui consiste à voir jusqu’où je peux réarranger les lois de la physique dans mes dessins sans que leur « réalisme» (ou leur justesse) n’en pâtisse.
Les motifs que j’applique partout sont liés à mon enfance. J’aimais énormément me rendre dans les magasins de peinture et feuilleter les livres d’échantillons de papiers peints. J’aimais leurs motifs et la manière dont on pouvait les apprécier dans différents tons. Tout cela est aussi lié à ma passion pour le tissu dont je vous ai parlé. J’adore ça !

N. – Cette introduction de motifs de tissus en aplats évoque certains tableaux de Pierre Bonnard et des Nabis (7).

Debbie Drechsler – J’apprécie effectivement beaucoup les œuvres de Bonnard et de Vuillard.

N. – Y a-t-il d’autres peintres qui sont une inspiration dans votre œuvre ?

Debbie Drechsler – Oui et ils sont nombreux ! Raoul Dufy, Milton Avery, Maxfield Parrish, Gustav Klimt, Ben Shahn, Antonio Frasconi (un graveur), Kathe Kollwitz (graveur elle aussi), Wanda Gag, Adolf Dehn, Georgia O’Keefe et Charlotte Salomon (une jeune femme qui réalisa une fabuleuse série de peintures sur sa vie en France avant d’être exécutée par les Nazis). Voilà, en gros, les artistes auxquels je pense sans avoir à trop me creuser la tête !

Charlotte and family - Charlotte Salomon (© Salomon)


N. – Vous réalisez vous-même les maquettes de vos albums. C’est un aspect créatif important ?

Debbie Drechsler – Oui.

N. – Avez-vous demandé à réaliser les couvertures des versions françaises ?

Debbie Drechsler – Les couvertures pour l’Association sont plutôt une collaboration. Je réalise quelques illustrations et ils s’occupent du design afin de rester fidèles à l’esthétique des couvertures qui leur est cher.

N. – JC Menu me signalait que vous aviez choisi le rose pour la couverture du Daddy’s Girl. C’est la couleur de l’innocence volée ?

Debbie Drechsler – Rien d’aussi profond… Il se trouve que j’aime tout simplement cette couleur et j’ai pensé qu’elle conviendrait bien au contenu. J’ai donc sauté sur l’opportunité de l’utiliser !

N. – Du point de vue de la narration, Summer of Love fonctionne presque selon le principe de la pièce de théâtre classique à cinq actes. Sa prépublication en cinq fascicules a fort influencé votre écriture ?

Debbie Drechsler – Oui, bien sûr. Je voulais que chaque « chapitre » fonctionne de manière indépendante tout en rendant le lecteur désireux de découvrir le suivant. J’ai entrepris chaque chapitre indépendamment sans planifier les suivants. Je pense que je ne referai plus jamais ça ! Je me suis mise dans des embarras d’écriture tout au long de ce travail. Si j’entame une autre histoire de ce genre, je définirai toute mon intrigue dès le départ !

N. – Ne voyez-vous pas cela comme un moyen inconscient de vous placer dans une situation conflictuelle avec votre œuvre ?

Debbie Drechsler – Non. J’ai déjà assez de problèmes conflictuels avec l’histoire elle-même. C’était un manque d’expérience et une mauvaise organisation de mon temps. Je n’ai jamais été quelqu’un qui compliquait les choses pour parvenir à les aborder.

N. – Lily effectue un voyage initiatique (découverte de son désir) en traversant la forêt à plusieurs reprises. Elle mentionne par ailleurs le « Joueur de Flûte d’Hamelin ». Serait-il juste de dire qu’il existe un sous texte de conte dans Summer of Love ?

Debbie Drechsler – Une chose agréable avec les histoires, c’est que le lecteur peut y lire ce qu’il veut ! Les bois étaient un lieu important pour moi étant enfant. Ils m’offraient un autre monde dans lequel je pouvais m’échapper. C’est ce qui était important pour moi et c’est ce que j’ai introduit consciemment dans le récit.

N. – Pourquoi avez-vous gardé la famille Meier dans votre Summer of Love ? Vouliez-vous commencer avec des personnages déjà plus travaillés ? Désiriez-vous créer un pendant à Daddy’s Girl ?

Debbie Drechsler – La raison véritable est que je me sentais plus à l’aise avec des personnages familiers et surtout que je n’en avais pas fini avec eux.

N. – Les personnages secondaires de Summer of Love sont-ils venus d’eux-mêmes ?

Debbie Drechsler – Tous les personnages sont à la base des gens que j’ai véritablement connus. Ils ont ensuite pris une vie propre au fur et à mesure que le récit progressait.

N. – Le personnage de Steve Farley apparaît pour la première fois dans les bois, perché au sommet des arbres et aussi impénétrable derrière ses lunettes que la forêt qui l’entoure. Il est une incarnation du mystère ?

Debbie Drechsler – Pour Lily, les garçons sont des créatures mystérieuses et insondables. Elle est attirée par eux mais ils lui semblent entièrement hors de sa portée. Steve Farley était l’incarnation de cet état.

N. – Tous ces personnages vous hantent encore ?

Debbie Drechsler – Une des raisons pour laquelle je n’ai pas trouvé de nouveau chapitre à cette histoire est dû au fait que je crois l’avoir finie. Ce désir brûlant de mettre ces personnages sur papier s’est consumé. Si j’entame un nouveau récit, ce serait avec de nouveaux personnages. Mais jusqu’à présent aucun d’entre eux n’est venu me secouer en me disant : « A moi ! C’est mon tour ! »

Entretien réalisé entre mi-mars et juillet 2004.Traduit de l’anglais (Etats-Unis) - © Debbie Drechsler/Nicolas Verstappen.

(1) Romain Brethes, Spiegelman après le déluge, Chronic’Art n°8, p.26-27.
(2) Lynda Barry : cette dessinatrice américaine fut elle aussi publiée dans le Raw d’Art Spiegelman et Françoise Mouly. Elle est l’auteur de la série Ernie Pook’s Comeek et met souvent en scène la vie de famille au travers du regard d’adolescentes.
(3) L’article Des Rats et des Femmes de Gilles Ciment nous propose une approche de ce thème au travers d’une étude comparative entre Daddy’s Girl de Debbie Drechsler et L’Histoire d’un Vilain Rat de Bryan Talbot. In : 9ème Art #5, les Cahiers du Musée de la Bande Dessinée, janvier 2000, p. 138-139.
(4) Drawn & Quarterly (www.drawnandquarterly.com) : maison d’édition canadienne alternative fondée en 1990 par Chris Oliveros. Présentation plus complète dans le Xeroxed #1.
(5) Pantone : nom d’un nuancier très utilisé par les professionnels devant définir précisément les couleurs qu’ils utilisent. "
(6) Le récit Des Visiteurs dans la nuit a été publié par Amok dans Le Cheval sans Tête #1.
(7) Les Nabis: